Skip to main content

Full text of "Laurent de Médicis : tragédie en trois actes"

See other formats


TUlâire  i    053 


_.£r:i.a 


ACTEIII,  SCÈNE  XI. 


LAURENT   DE  MÉDICIS, 

TRAGÉDIE  EN  TROIS  ACTES, 

pur    Ml.   Ceott   Oertranî), 

REPRÊSEÎiTÉE    POUR    LA    PREMIÈHE    FOIS,     A    PAl'.ls,    SUR    LE      THF.ATRE-FnANÇAlS       ".E    24    iOLT     t839. 


A  MON  DIGrJE  A!%II  JOAI^'NY, 

TÉMOIGKACE  D'KSTIMF.  ET  DE  Rb:CO^^AISSA^■(:^•.  . 

L.  B 

Pc  fuient  e  iiiio,  non  <Jr/iiil  .iller. 


PERSOyyjGFS. 

LK  DU€  ALEXA>'nRE  DE 
Ml-:DICIS,tyrande  Florence.      M. 

LAUKEKT  1)K  MÉDICIS, 
favori  el  lieulenaDt  du  duc.    .      M. 

PIEKRK    SinaZZI,    fils    de 

Pliilippe  Slrozzi,  exile'.   .   .  ,       »j' 

SCOnOUCOULO,  bravo  napo- 
lilain M. 

LK  COMTE  OTTAVIO  MAN- 
KIEUI  .  prcsidenl  du  cunscil 
des  <|ii.ir;iii(e M. 

UN    HIJISSIKH M. 


^CTEUliS. 

Geffrot. 

Beauvali.et. 

LOCKKOV. 

MAiLLAnr. 

J0i^NY. 


Prf.vxnne. 

Al.KXANDKE. 


PEhsuy]s.ici:s. 


■I  cri-:  uns 

.Io\NNlS. 

L.  Mo. Ml  os 


La  seine  se  passe  à  Florence  ,  le  6  janvier  I  536. 


PAUDOLFC)  ,  \  deux  autres  /  M, 
BRAMANTE,  /  l>iavi.  \  M. 
JUAN  A  GINORI,  nurrfuise  do 

Leva  ,    dame    dlidniieur    i!<» 

Marguerites    d'Anlriilic  ,    du- 

cliesse  de  Medicis M"'    Noni,i:T. 

l.UCRKCIA,   sa   camprisle.   .    .      M""  Iuiaahd. 

QUATBE  ShNATELCS    OuCoN-  ) 

SEILLERS I 

AlesAndbE  VitkLH  çouvcr- ^    |iorsoiiiiagrs  niuels 

neur  de  Florence, comniaii-  1 

dant  de  la  lilailflle.  .  .  .  ' 
Courtisans,  Soldats  et  AnciiEr.s  de  la  g.irje  du  ouc. 


ACTE  PREMIER. 


Le  ihe'àlre  représente  la  salle  du  conseil  ,  dans  l'inlerieur  de  la  citadelle  de  Florence.  A  gauclie  de  l'acteur,  des  sie'ges  el 
une  tïble  destines  aux  membres  du  conseil.  A  droite  ,  en  face,  d'autres  sièges  réserves  au  Duc  ;  et  une  tal>L  sur  la- 
quelle Sont  epars  «lilierens  papiers  ou  parchemins.  Il  est  environ  liuit  heures  du  matin. 


SCENK  PllE"MIi:UE. 

LAURENT  DE  Ml'biCiS.  Siuldabord,  PIERRE 
STIVV'ZZl,  un  in.sunn  npriKi, 

Au  lever  du  rideau,  Laurent  est  assis  à  la  table  de  droite, 
absorbe  par  la  lecture  de  rjuelijues  papii  rs.  Un  huissier 
ouvre  la  porlcdu  fond,  nionlrc  Laurent  à  l'ii  ne  Stroiii, 


déguise'  sous  une  loniiup  cape  à  l'espannole  Celui-ci 
entre,  vient  sans  J)ruit  se  placer  derrière  le  lieutenant 
du  Duc,  et  lui  fiappe  doucetneul  sur  l'epiule. 

l.ACnr.NT,  lonniaiil  la  tdle. 
Eh  auoi!  l'csi  vous,  Stiozzi!  iJois-je  en  croire  nips 

[jeux? 


MAGASI^'  THEATRAL; 


Vous,  eiilé,  proscrit,  vous,  banni  de  ces  lieux, 
Oser  y  reparaître!  et  quand  une  parole. 
Un  geste,  un  seul  regard,  d'une  démarche  folle, 
Peut  vous  faire  expier  les  périlleux  hasards, 
C'est  ici,  dans  ces  murs,  au  sein  de  ces  remparts, 
Sous  la  dent  du  lion,  insensé,  dans  cet  antre 
D'où  ne  sort  pas  qui  veut,  bien  que  sans  peine  on 
Que  vous  venez,  bravant  un  pouvoir  irrité,    [entre. 
Risquer  ou  votre  vie  ou  votre  liberté? 
Çà,  quel  jeu  jouons-nous,  mon  jeune  téméraire, 
Pour  relancer  ainsi  l'aigle  au  fond  de  son  aire? 
Et  quel  complot  secret  ou  quel  amour  nouveau 
Cachons-nous  sous  les  plis  de  cet  ample  manteau? 
Venons-nous  pour  le  duc,  ou  bien  pour  quelque 
STROzzi.  [belle? 

Pour  Florence  d'abord...  c'estlà  ce  qui  m'appelle. 

LAURENT 

Donc  nous  eonspirons  ? 

STROZZI. 

Oui. 

LAURENT,  à  part. 

Qu'entends-je? 

Haut. 

Et  c'est  Laurent, 
Moi,  le  bras  droit  du  duc,  son  plus  cher  confident. 
Que  par  un  tel  aveu  vous  prenez  pour  complice? 

STROZZI. 

Non  :  c'est  Laurent,  jadis  l'ami  de  la  justice, 
Le  défenseur  du  peuple,  et  le  plus  ferme  appui 
Des  droits  saints  que  l'ingrat  abandonne  aujnur- 

[d'hui; 
Laurent,  ce  Médicis  au  cœur  plein  de  noblesse. 
Le  frère  des  Strozzi,  l'ami  de  leur  jeunesse, 
De  la  vertu  comme  eux  le  zélé  partisan; 
Je  parle  à  l'homme  enfin,  et  non  au  courtisan. 

LAURENT. 

Et  si,  le  courtisan  étouffant  en  moi  l'homme, 
J'allais  vous  dénoncer,  que  diriez- vous? 

STROZZI. 

La  somme 
Quimetmesjoursàprix,  entre  nous,  ne  vaut  pas 
La  honte  qui  naîtrait  pour  vous  d'unfaitsi  bas... 
D'ailleurs  ce  serait  là  par  trop  mal  reconnaître 
Le  dévoûment... 

LAURENT. 

D'un  fou. 

STROZZI. 

Qui  pour  toi  s'est  fait  traître, 
Laurentl 

LAURENT. 

Traître,  vous  î 

STROZZI. 

Moi,  traître  à  mes  sentimens. 
Traître  à  la  fol  jurée,  à  l'honneur,  aux  sermcns  I 
Traltreaux  hommes,  à  Dieu,  traître  à  tout  ce  qui  lie 
lin  véritable  enfant  de  la  jeune  Italie! 
Ëcoute:  jamais  toi,  tu  ne  connus  l'exil, 
K'csl-ce  pas  T  Mis  au  ban  comme  un  coupable  vil. 
Tu  n'as  jamais,  le  jour,  traîné  la  vie  errante. 
Et  rêvé  dans  tes  nuits  de  la  patrie  absente? 
Le  cœur  sans  cesse  en  proieàdcs  pensers  de  deuil, 
Ver»  l'horizon  tourné,  l'interrogeant  de  l'œil. 
Tu  n'as  jamais  cherché,  trop  heureuse  méprise! 
De  loQ  pays  natal  à  respirer  la  brise , 


Et  suivi  de  tes  vœux  un  nuage  léger 
Qui  sur  l'aile  des  vents  semblait  s'y  diriger... 
Moi,  partageant  des  miens  les  tristes  destinées, 
Commeeuxproscrit,  ami,  j'ai  souffert  cinq  années» 
J'ai  vu  de  ville  en  ville,  un  citoyen  si  grand  ! 
Tel  qu'un  hôte  trop  lourd,  chaque  jour  émigrant. 
Mon  vieux  père  réduit  au  sort  de  Bélisaire, 
Prêt  à  tendre  son  casque  au  denier  populaire. 
Te  dirai-je  nos  maux,  nos  soucis,  nos  dangers, 
Sousuncielinclément,  sur  des  bords  étrangers? 
Te  peindrai-je  mes  sœurs,  ces  frêles  créatures, 
N'opposant  au  destin  ni  plaintes  ni  murmures; 
Mes  frères  se  formant  au  métier  des  combats, 
Ct  pour  la  liberté  recrutant  des  soldats? 

Un  soir...  je  revenais  alors  de  Barcelone, 
Au  nom  des  exilés,  où  vers  une  personne 
Que  je  ne  dirai  pas  pour  sauver  son  honneur, 
On  m'avait  délégué,  moi,  Pierre,  ambassadeur. 
Mécontent  et  du  maître  et  de  ses  fiers  ministres. 
Qui  m'avaient  éconduit,  plein  de  penserssinistres. 
Je  regagnais  à  pied  et  par  de  longs  détours. 
L'asile  où  se  cachaient  les  auteurs  de  mes  jours... 
J'entre. Que  vois-je,ô  ciel!  en  en tr'ouvrant  la  porte? 
Un  vieillard  à  genoux  prés  d'une  femme  morte  ! 
Clarice  Médicis,  ma  mère,  ce  grand  cœur, 
làuit  morte  en  exil  de  honte  et  de  douleur! 
A  ce  spectacle  affreux:  «Aquoi  bon  tantdelarmes? 
»  M'écriai-je  soudain.  Vengeance,amis!  aux  armes! 
)>  Charles-Quint  nous  trahit;  prouvons  à  l'univers 
»  Que  sans  lui  nous  pouvons  encor  rompre  nos  feis!» 
Je  dis,  et,  le  bras  droit  levé  sur  la  victime. 
Je  jurai  de  briser  le  joug  qui  nous  opprime. 
Mon  père  m'imita;  lîenedelto  Pazzi, 
Ludovic  Belmonte,  Mario  INIanfredini, 
Tous  les  trois  exilés,  se  firent  mes  complices; 
Sous  la  foi  des  sermens,  aux  plus  affreux  supplices 
Chacun  de  nous  voua  le  lâche  qui  vendrait 
De  bouche  ou  par  écrit  cet  important  secret; 
Et  nous  jurâmes  tous  de  ne  rien  entreprendre 
Avant  d'avoir  frappé... 

LAURENT. 

Qui? 

STROZZI. 

Le  duc  Âlexanore. 

LAURENT. 

Le  duc? 

STROZZI. 

Avec  cet  homme  un  autre  homme  était  mort, 
Laurent,  aussi  coupable  et  digne  d'un  tel  sort  : 
C'était  toi  :  de  tes  jours  nous  avions  fait  le  nombre  ; 
Le  corps  ne  peut  tomber  sans  en  traîner  son  ombre... 
Par  nous  tous  condamné  d'un  seul  et  même  aveu, 
A  côté  du  tyran,  marqué  du  doigt  de  Dieu, 
Tu  périssais  aussi  :  le  conseiller  intime 
Avait  part  à  l'arrêt,  ayant  pris  part  au  crime! 
Dans  te  danger,  pour  toi,  je  me  sentis  touché; 
Cardans  le  juge,  hélas!  l'ami  restait  caché. 
«  Oh!  me  dis-jc  tout  bas,  Laurent  fùt-il  infàm»» 
»  De  toutes  trahisons  eùt-il  noirci  son  ame, 
»  Dans  la  fange  du  vice  avec  le  duc  plongé, 
)'>  De  ses  exactions,  satellite  gagé, 
»  £ût-il,  la  nuit,  couru  l'orgie  et  la  dcbauch«. 


LAURENT  DE  MEDIGIS. 


»  Le  jour,  pris  à  deux  mains  le  glaive  qui  noua 

[  fauche, 
»  Se  fûl-il  fait  l'efifroi  de  tout  bon  citoyen, 
»  Isùl-il  souillé  sa  couche  et  confisqué  son  bieni 
»  Je  nepuis,  oubliant  tous  nos  rapports  d'enfance, 
»  Perdant  l'ameet  le  corps,  le  tuer  sans  défense.» 
Ainsi  me  suis-je  dit  :  et,  trahissant  l'honneur 
Pour  l'amitié,  vers  toi  je  suis  venu  sans  peur. 
Ta  vie  était  à  moi,  j'en  étais  bien  le  maître; 
La  mienne  t'appartient  :  cours,  va  faire  connaître 
A  quels  destins  par  nous  le  duc  est  réservé, 
Et  perds,  en  le  nommant,  celui  qui  t'a  sauvé. 

LAURENT,  lui  tendant  la  tnain. 
Strozzi,  voici  ma  main  :  ton  dévouement  sublime 
Mérite  plus  encor  que  ma  voix  ne  l'exprime; 
Mais  parle,  etj'obéis...  Que  puis-je,  ami,  pour  toi? 

STROZZI. 

Délivrer  la  patrie  en  frappant  avec  moi... 

LAURENT. 

Quoi!  tu  veux... 

STROZZI. 

Si  j'étais  en  présence  d'un  autre, 
De  notre  cause  ici  m'établissant  l'apôtre. 
Je  pourrais  essayer,  par  quelque  adroit  tableau, 
D'enrôler  dans  nos  rangs  ce  disciple  nouveau  : 
Mais  qui  la  connaît  mieux,  celte  cause  si  belle. 
Que  toi,  qui  si  long-temps,  ami,  lui  fus  fidèle? 
N'es-tu  donc  plus  Laurent,  ce  fier  républicain 
llanni  par  Clément  sept  de  tout  l'étal  romain  ? 
N'es-tu  plus  ce  héros,  ce  digne  et  noble  émule 
Des  Cinna,  des  Caton,  des  Gracques,  des  Rutule? 
Cet  esprit  ferme  et  droit,  dans  l'élude  nourri. 
Qui  fis  de  ces  grands  noms  ton  culte  favori? 
Qui  t'illustras  comme  eux  par  l'ardente  pratique 
De  toutes  les  vertus  d'un  citoyen  antique; 
Et  qui,  jadis,  voulant  donner  une  leçon 
A  nos  fils,  des  Romains  triste  contrefaçon  1 
Décapitas  la  nuit  tous  les  marbres  de  Rome, 
Ne  laissant  seul  debout  que  Brutus   ce  grand 

[  homme  I 

LAURENT. 

De  tous  ces  temps, Strozzi,  comme  tu  te  souviens! 

STROZZI. 

Je  n'ai  rien  oublié...  ni  nos  longs  entretiens. 
Alors  que  vers  le  soir,  assis  aux  bords  du  Tibre, 
Nous  consultions  tous  deux  les  lois  d'un  peuple 

[  libre; 
Ni  nos  excursions  sur  le  mont  Aventin. 
Où  Rome  sans  sénat  vint  camper  un  malin.  . 
Je  me  rappelle  tout  :  je  sais  nos  espérances, 
Nos  discours,  nos  projets  et  nos  saintes  croyances; 
Ma  mémoire  est  enfin  telle  qu'au  premier  jour. 
Fais  comme  moi,  Laurent,  souviens-toi...  c'est 

[ton  tour. 
LAURENT,  avec  entraînement. 
Eh  bien  !  oui  ;  j'obéisàla  voix  qui  m'appelle... 

STROZZI,  les  yeux  au  cirl. 
Il  restait  dans  son  cœur  une  noble  étincelle  ! 

LAURENT. 

Je  conspire  avec  toi. 

STROZZI,  lui  tendant  la  main 
C'est  convenu...? 
LAURENT,  la  prenant. 

C'est  dit. 


STROZZI. 

Devant  Dieu  î 

LAURENT,  tirant  sa  dague,  dont  la  poignée  est  en 
croix. 
Surle  Christ!  etquejesois  maudit. 
Que  je  meure  en  ce  monde  et  sois  damné  dans 

[  l'autre, 
Si  Laurent  jusqu'au  bout  ne  demeure  le  vôtre! 
Les  noms  des  conjurés?  Manfredini,  Pazzi, 
Belmonte,  n'est-ce  pas? 

STROZZI,  déchirant  une  page  de  ses  tablettes. 
De  ma  main,  les  voici... 

LAURENT. 

Où  vous  concertez-vous? 

STROZZI. 

Au  lion  de  Florence, 
Ce  papier  te  le  dit. 

LAURENT. 

Quoi  !  si  près  ? 

STROZZI. 

Par  prudence 
Nous  avons  à  dessein  choisi  cette  maison  : 
Plus  le  danger  est  près,  moins  on  a  de  soupçon. 

LAURENT. 

J'y  serai  dans  une  heure. 

STROZZI. 

Une  heure  soil...  j'y  compte. 
A  mesamis,  les  tiens!  c'est  loi  qui  reiidrascompte. 
Pour  les  mieux  élonner,  de  tout  noire  eiitreiicn  ; 
Et  jusqu'à  ce  moment,  je  ne  leur  dirai  rien. 

LAURENT. 

C'est  bien. 

STROZZI. 

Au  revoir,  frère  .. 

LAURENT. 

A  bientôt. 

Il  tend  la  main  à  Strozzi  et  le  reconduit  ainsi  enl.ice  jus- 
qu'à la  porte  ;  arrive'  là,  il  lire  sa  dague,  et  dit  : 

C'est  l'usage 
Que  tout  pacte  d'honneur  se  scelle  [.ar  un  gage: 
Je  ne  puis  mieux,  ami,  t'assurer  de  ma  foi 
Qu'en  te  donnant  ce  fer...  il  est  pur  comme  loi. 
Si  je  te  trompe,  un  jour  par  les  mains  iju  il   te 

[  venge! 
STROZZI,  la  recelant,  et  tirant  .toti  poiiinard. 
Merci,  frère.  Voici  mon  |)oignard  en  échange. 

11  sort. 


SCENE  II. 

LALRENT,  seul,  cjcaminant  l'arme  de  Strozzi, 
Forte  laine,  ma  foi...  qui  saurait  droit  au  cœur 
Se  frayer  sans  effort  un  passage  vain(iucMir, 
El  dont  il  ne  faudrait,  si  la  main  était  sûre. 
Que  deux  bons  pouces  misau  défaut  de  l'armure! 
()  Pierre!  par  ton   nom,  sur  cette  arme  Iracc, 
Par  cet  instinct  d'ami  qui  vers  moi  l'a  poussé. 
Le  jour  m^ine  où  ma  main  à  frapper  était  pr^te^ 
Tu  n'auras  point  en  vain  su  proU'gor  ma  télé  t 
Tu  vas  l  ombariiucr  loin:  le  meilleur  matelot. 


MAGASIN  THEATRAL. 


SurccllemerJ'écueils  que  l'on  nomme  un  complot, 
Asouvenlfaitnaufrage:  eh bienlvogue,  complote, 
Le  gouvernail  en  main,  moi  je  suis  ton  pilote; 
Je  enrouerai  ta  voile  an  souffle  dece  vent, 
Qu'aux  parages  des  cours  on  voit  changer  souvent; 
Et  si.  chacun  de  nous,  à  son  poste,  à  son  œuvre, 
Rien  ne  vient  entraver  notre  habile  manœuvre; 
Si.luana  (îinori,  la  sirène  à  l'œil  noir, 
A  la  i)rouc  avec  nous  veut  bien  venir  s'asseoir; 
Si  Dieu  nous  sert  enfin,  car  Dieu  seul  est  le  maître! 
Avant  demain  au  port  nous  entrerons  peut-être. 

SCENE  III. 
LAUREM,  SCOROUCOULO. 

SConoucoiLO.  que  le   dentier  mot    a  frappé. 
Pourquoi  [leut-étre.   ?un  mot  si  vague,  si  douteux? 
Fi  donc  :  dans  notre  langue.... 

LAUKHNT,  se  reioumanl,  à   part. 

Ah! ah;  nous  sommes  deux! 
sconoucocLo. 
Si  j'étais  comme  vous  un  maître  irréprochable, 
Seigneur,  je  proscrirais  ce  terme  abominable. 
Peut-être...  eh!  mais,  est  il  un  galant  cavalier, 

S'cxaminanlde  la  lêleaux  pieds  avec  complaisance. 

Rien  tourné,  bien  bâti,  tant  soit  peu  régulier. 
Avant  à  son  côté  bon  styiet  de  Tolède, 
(^)ui  connaisse  un  tel  mot  et  l'appelle  a  son  aide? 
Pour  ma  part. 

Avec  emphase. 

Et  pourtant  l'on  n'est  pas  fanfaron. 
Je  n'ai  jamais  aimé  ce  vilain  mot  poltron. 

LAL'IIKN  T. 

Rien  I  mais  moins  de  discours.  As-lu  fait  mon  mes- 
scoRoucocLO.  [  sage? 

En  homme  intelligent,  et  vous-même,  je  gage. 
Par  vosamoursdislrait,  l'auriez  moins  bien  rempli; 
Jai  votre  affaire... 

LAURENT. 

Bah  ! 

SCOKOLCOULO. 

Ça  n'a  pas  fait  un  pli. 

LAUttENT. 

Une  maison  sûre  ? 

scououcoui.o. 

Oh  :  une  retraite  telle, 
Qu'il  la  faut  à  l'amant  pour  y  'acher  sa  belle. 
Alors  que    redoutant  les  regards  des  jaloux, 
Il  usurpe  des  droits  dérobés  à  I  époux. 
Petite  porte  basse  au  fond  d'une  ruelle, 
Escalier  raide  et  droit,  où  l'on  monte  à  l'échelle. 
Fenêtre  sans  voisins,  prenant  jour  sur  l'Arno; 
Enfin,  un  vrai  boudoir,  où  moi,  Scoroucoulo, 
Enjetanl  sur  le  fleuve  un  œil  tant  soit  peu  louche. 
J'ai  souvent  attendri  mainte  beauté  farouche. 

LAUIIENT. 

Ah!  lu  connais  l'endroit? 

SCOiioLCOULO,    avec   falniti'. 

Oui,  soit  dit  entre  nous, 


C'est  là  que  j'ai  toujours  donné  mes  rendez-vous. 

LAURENT,  ironiquement. 
Je  suis  tlalté,  mon  cher,  que  ma  bonne  fortune 
Entrouvre  à  nos  amours  une  porte  commune. 
Et  combien,  toi,  qui  sais  les  prix  de  la  maison. 
Me  louera-t-on  ce  temple? 

SCOROUCOULO. 

Ail!  datne, c'est  selon  ; 
La  maison  est  courue  et  souvent  a  leiuliere... 
Dans  le  jour  ce  n'es  tri  en,  mais  la  nuit  est  plus  chère. 
Pour  quel  temps  louerez-vous? 

LAURENT. 

Pour  trois  nuits  et  trois  jours. 

SCOROUCOULO. 

Par  le  pape,  il  se  peut?  quelles  rudes  amours! 

Après  avoir  compté  un  instant  avec  iui-nicn.e. 

Ce  sera  dix  ducats  ..  encore  si  l'hôtesse 

iMaître  de  tout  chez  elle   a  ce  prix-la  vous  laisse; 

C'est  par  égard  pour  moi,  que  la  vieille  connaît, 

El  qui  de  vous  ai  fait  le  plus  charmant  j  orirait. 

Vous  serez  roi  du  lieu,  mon  digne  gentilhomme  ; 

Vous  aurez  le  premier,  lesecond,  loutén  somme, 

Excepté  toutefois  un  petit  pavillon 

Au  logis  attenant,  que  ce  malin,  dit-on. 

A  retenu  d'avance  une  honnête  pratique... 

LAURENT. 

Ah  I  diable!  on  n'est  pas  seul  ? 

SCOROUCOULO. 

Si  fait. 

LAtUhM. 

On  conmuinique? 

SCOROUCOULO. 

Non  pas  certe,  ou  du  moins  ci'la  dépend  devou-i; 
Un  passage  secret  en  bas  ferme  aux  verroux. 
Et  s  ouvre  [lour  vous  seul. 

LAURENT. 

.M'en  réponds-tu? j'arrête... 

SCOROUCOULO. 

J'en  réponds. 

LAURENT. 

Pour  ce  soir  que  la  maison  soit  prêle. 
;\Iais  surtout,  bouche  close,  et  qu'on  ncsachcrien. 
Là-dessus,  pas  un  mot... 

SCOROUCOULO. 

Je  vous  le  promets. 

LAURU.NT. 

Bien. 

Puise. 
Il  se  jieut  qu'avec  moi...  tanttU  je  te  convie  .. 
Tu  m'as  raird'ung.ii!lar(l(iuii'ompreiidbicn  la  vie. 

SCOUOICOULO. 

Oui... 

LAURENT. 

Tu  m'es  dévoué? 

SCOROUCOULO. 

Comme  l'est  à  Satan 
Paul  trois,  notre  saint  père,  assis  au  Val  can. 

LAURENT. 

!    En  temps  et  lieu,  je  crois,  tu  me  rendrais  serviceT 

SCOROUCOULO,  viveuwni. 

Aux  dépens  de  mon  sang... 


LAURENT  DE  MÉDICIS. 


lADRENT,  avec  doute, 
Oii! 

SCOROCCOtILO. 

Le  beau  sacrifice! 
Ce  n'est  là  qu'un  prêté,  maître,  pour  un  rendu. 
A  Naple,  un  Jour,  sans  vous...  n'étais-je  point 
LAURENT.  [pendu? 

C'est  juste. ..  et  cette  fois,  je  puis  dire,  sans  blâme. 
Que  je  fis  deux  grands  vols:  au  diable  je  pris  l'ame, 
Et  le  corps  au  bourreau. 

SCOROUCOULO. 

Donc,  je  vous  appartiens; 
Donc,  ces  jours  rachetés  sont  à  vous,  et  non  miens! 

LAURENT. 

Et  tu  les  donnerais  pour  solder  ma  créance  ? 

SCOROUCOULO. 

Tous...  hors  un  qu'il  me  faut... 

lAUREKT. 

Pour  qui? 

SCOROUCOULO. 

Pour  la  vengeance! 

LAUREKT. 

La  vengeance,  dis-tu  ? 

SCOROUCOULO. 

Prononcez  si  j'ai  tort  : 
L'tiomme  dont  le  crédit  faillit  causer  ma  mort. 
Et  qui,  pour  un  maraud,  dont  il  s'est  dit  le  maître. 
Sans  vous,  tout  droit  aa  ciel  m'envoyait  compa- 
LAUREKT.  [raître... 

Eh  bien? 

SCOROUCOULO. 

Lecroiriez-vous? 

LAURENT. 

Achève... 

SCOROUCOULO, 

Il  est  ici! 

LAURENT. 

Qui 

SCOROUCOULO. 

Cet  homme... 

LAURENT. 

Cet  homme? 

SCOROCCOULO. 

Eh  oui!  Pierre  Strozzi! 

LAURENT. 

Tu  l'as  VU? 

SCOROUCOULO. 

De  mes  yeux... 

LAIRENT. 

Quand  çat 

SCOKOUCOLLO. 

Ce  matin  même... 
LAURENT,  fcirjnant  la  surprise. 
A  Florence  un  Strozzi  1  son  audace  est  extrême! 
Es-tu  bien  sûr? 

SCOROUCOULO. 

Autant  qu'on  peut  être  certnin, 
Lorsque,  l'estomac  vide,  on  a  le  cerveau  sain. 
Je  l'ai  touché  du  coude. 

LAURENT. 

OÙ? 

SCOROUCOULO. 

Prés  de  l'Annonriado. 


Dans  la  rue  Alcorde,  lors  de  mon  ambassade. 
Nous  nous  sommes  croisés...  lui  sortait,  moi  j'en- 

[trais... 
Et  bien  que  sous  sa  cape  il  dérobât  ses  traits, 
Bien  qu'il  s'enveloppât  du  plus  sombre  mystère, 
La  haineest  clairvoyante...  au  long  du  monastère 
Tandis  qu'il  s'effaçait,  comme  un  adroit  limier. 
Auvent  d'un  ennemi  j'ai  flairé  mon  gibier. 

LAURENT,   à  part. 

L'imprudent!  en  plein  jour  ainsi  courir  la  ville! 
Que  faire?  il  est  perdu...  près  de  cette  ame  vile 
Tenter  un  noble  appel?  il  ne  comprendrait  pas... 
Me  défaire  de  lui?  j'ai  besoin  de  son  bras. 

Haut. 

Et  qui  retint  ta  haine,  alors  que,  passant  contre, 
Tu  vis  ce  traître?  un  lieu  désert,  où  l'on  rencontre 
Peu  d'indiscrets  regards  a  cette  heure  du  jour. 
Tu  pris  peur? 

SCOROUCOULO. 

Moi?  C'est  bon  pour  un  homme  de  cour, 

LAURENT. 

Alors  dans  quel  dessein  ? 

SCOROUCOULO. 

Je  m'en  vais  vous  l'apprendre. 
Pour  lui  jadis  pendu,  je  veux...  le  faire  pendre! 

LAURENT. 

Ah!  vraiment? 

SCOROUCOULO. 

Troc  pour  troc  :  je  vais  en  plein  conseil 
Sur  sa  présence  au  duc  donner  ici  l'éveil. 

LAURENT. 

L'idée  est  neuve. 

A  part. 

Aux  mains  de  cette  bête  fauve 
Le  malheureux  est  mort,  si  moi  je  ne  le  sauve  : 
Un  seul  moyen  me  reste...  un  seul...  essayons-en; 
Une  fois  Strozzi  sauf,  j'en  reviens  à  mon  plan. 

Haut. 

Ta  n'as  dit  jusqu'ici  ta  rencontre  à  personne  ? 

SCOROUCOULO. 

Personne,  excepté  vous. 

LAURENT. 

Écoute  alors;  raisonne 
Tu  vas  livrer  au  duc  un  ennemi  mortel  : 
Le  duc  reconnaissant,  et  c'est  bien  naturel, 
T'aura  bientôt  payé  ta  double  récompense... 
Tu  passeras  au  fisc,  et  l'autre...  à  la  potence. 

SCOROUCOULO,  avec  joie. 
Vous  croyez? 

LAURENT. 

J'en  suis  sûr...  mais  c'est  le  beau  côté 
Par  oîi  brille  ton  rôle. 

SCOROUCOULO. 

Oh  :  oh  !  en  vérité? 

LAURENT. 

Le  cas  où  lo  coupable  est  pris,  où  l'on  l'arrête... 
Si  Strozzi,  l'échappant,  met  à  couvert  sa  tête, 
Sais-tu  ce  qu'avant  |)eu  te  revaudra  l'honneur, 
De  t'êtrc  fait  tout  haut  son  dcnonciotcur? 
L'avant." ge  llaiteur,  immense,  incontestable, 


MAGASIN  THEATRAL. 


D'être  bientôt  au  sec  sous  quelques  pieds  de  sable. 
Voilà  l'autre  côté...  Vois,  choisis  maintenant, 
Et  corps  à  corps,  pygmée,  attaque  ce  géant. 

SCOBODCOULO. 

Mais  comment  faire,  alors? 

LAURENT. 

Agir  avec  prudence, 
T'en  rapporter  en  tout  à  mon  expérience. 
Le  veux-tu? 

SCOROUCODLO. 

Je  le  veux. 

LAURENT. 

Dans  un  instant,  ici, 
le  duc  vient  pour  siéger. 

Lui  préparant  un  siège  et  tout  ce  qu'il  faut  pour  e'crire. 

Dénonce-lui  Strozzi... 

SCOROCCOULO. 

Par  écrit?... 

LAURENT. 

Par  écrit.  A  cet  acte  anonyme. 
Qui,  sans  danger  pour  toi,  prévient  moins  ta  vic- 
Pour  contre-marque. . .  [  time, 

SCOROUCOULO. 

Àh!  oui... 

LAURENT. 

Tu  joindras  quelque  objet. 

SCOROUCOULO. 

Quoi,  par  exemple  ? 

LAURENT. 

Quoi?  je  ne  sais. 

Comme  par  inspiration. 

Ton  stylet. 
Puis,  le  tout  bien  scellé,  te  mettant  en  demeure, 
Au  tribunal  des  huit  tu  t'en  iras  sur  l'heure. 
Sous  la  porte,  en  entrant,  est  un  coffre  de  fer. 
Gouffre  toujours  béant,  vrai  soupirail  d'enfer, 
Placé  là  comme  un  tronc  pour  recevoir  et  prendre. 
Et  de  ses  flancs  d'airain  ne  jamais  rien  vous  rendre. 
Tu  t'en  approcheras,  et,  sans  peur,  de  ta  main, 
Tu  laisseras  ainsi  glisser  le  parcliemin. 

Il  laisse  tomber  le  parcliemin  sur  la  taljie. 

SCOROUCOULO,  le  ramassanl  et  se    disposant  à 

écrire. 
Je  comprends  et  j'écris. 

Tout  en  e'crivant. 

Vous  êtes  un  grand  homme! 
Strozzi  fuit,  je  me  tais.. .  il  est  pris,  je  me  nomme. 
C'est  jouer  à  coup  sûr. 

LAURENT,  à  part. 

Je  n'ai  pas  mis  au  jeu! 

Scoroucou1o,qui  a  fini  d'écrire,  joint  sou  slylel  à  sa  di'non- 
cialion,  renferme  le  tout  dans  le  parchemin,  et  consul- 
tant Laurent. 


Est-ce  bien? 


SCOROUCOULO. 
LAURENT. 

A  merveille.  Apporte-moi  du  feu. 

Scorouroulo  sort  ;  2i  peine  a-t-il  franclii  la  porte,  que  Lau- 
rent ouvrcrapidoniciit  Icpartlieiniuctcurtliic  la  IcUrc 
cl  le  Stylet  de  Scoi  yuioulo. 


Pour  frapper  un  tel  cœur  ton  arme  est  trop  im'* 

[pure, 
Mon  brave!  au  fond  des  eaux,  sa  digne  sépulture. 
Qu'elle  aille  un  jour  l'attendre,  ô  spadassin  bâ- 

[tardl' 

Il  froisse  la  lettre  contre  le  stylet,  jette  le  tout  par  une 
croise'c  donnant  sur  les  fosse's  de  la  citadelle  ;  cela 
fait,  il  prend  le  feuillet  des  tablettes  de  Strozzi  qui 
contient  de  la  main  de  ce  dernier  la  liste  des  con- 
jure's,  y  joint  le  poignard  qu'il  a  échangé  avec  lui, 
et  s'écrie  : 

Et  maintenant,  à  moi!  cet  écrit,  ce  poignard. 
Qui  seront  tes  sauveurs  en  ce  péril  extrême, 
0  Strozzi!  noble  ami. 

Il  les  enveloppe  dans  le  parchemin. 

Dénonce  tout  toi-même  : 
Livre  au  duc  un  complot  qu'il  allait  découvrir. 
J'achète  ton  pardon  par  ce  feint  repentir  : 
Il  le  faut  !  renversons  ce  frêle  échafaudage... 
En  sous-œuvre  avant  peu  nous  reprendrons  l'ou- 

[vrage! 

Comme  il  achevé,  Scoroucoulo  rentre  et  dépose  unelampf 
sur  la  table. 

SCOROUCOULO. 

Voilà... 

LAURENT,  cachetant  le  parchemin. 
Bien...  Cours  aux  huit. 

Prêtant  l'oreille. 

J'entends  monter,  je  croi, 
Par  l'escalier  du  duc. 

SCOROUCOULO,  S* approchant  de  l'escalier. 
Oui,  l'on  vient. 
LAURENT,  lui  remettant  le  parchemin. 

Hâtc-toi. 

Scoroucoulo  s'éloigne.  Une  petite  porte  masquée  s'ouvre 
dans  la  boiserie.  Le  Duc  parait. 

M/VVV\VV\VWWVVV\VWVVVVV\V\VVWVV\VV\W\WVVWVWVWVVkVVW 


SCENE  IV. 
LAURENT,  LE  DUC  ALEXANDRE. 

Pendant  ([uc  le  Duc  referme  doucement  la  porte  et  met  la 
clef  dans  sa  poche,  Laurent,qui  semble  mettre  en  ordre 
les  papiers  épars  sur  la  table,  ne  le  perd  pas  de  Tue,  du 
coin  de  l'œil. 

LAURENT,  à  part. 
C'est  bien  lui.. .  pâle  encor  d'une  nuit  de  débauche. 
Rentrant  furtivement  par  cette  porte  à  gauche. 
Comme  un  loup  ravisseur,  qui,  surpris  par  le  jour. 
Pour  regagner  son  fort,  honteux,  prend  un  détour. 

LE  DUC 

Que  dis-tu  là,  Laurent?  | 

LAURENT,  se  levant.  \ 

Je  dis  que  votre  altesse 
Est  en  retard. 

LE  DUC,  se  jetant  dans  un  fauteuiU 
C'est  vrai. 

Il  bâille  ot  s'étend  cijjnmc  un  homme  fatigué  de  plaisir. 

Pardoiioe  4  ma  paresse.! 


LAURENT  DE  MÉDICIS. 


J'étais  si  bien,  vois-tu,  qu'à  regret,  pour  ce  lieu, 
J'ai  dit,  je  le  confesse,  à  ma  retraite  adieu... 

LAURENT,  monlranl  les  papiers.  ] 

Nos  dossiers  sont  chargés.  | 

LE  DCC,  raillant. 

0  pauvre  esprit  vulgaire! 
A  qui  te  dit  plaisir,  peux-tu  répondre  affaire? 
Eli  !  quel  rêve  as-tu  fait,  mon  digne  lieutenant? 
Ta  maîtresse  te  trompe  avec  quelque  autre  amant  î 
Tu  perdis  iiier  au  jeu,  trahi  par  la  fortune? 
Seaux  soucis  I  Tu  le  sais,  notre  bourse  est  com- 

[mune. 
Des  femmes?  on  en  a  bien  plus  que  tu  n'en  veux, 
Et  pour  une  perdue,  on  t'en  donnera  deux. 

LADRENT. 

Votre  altesse  est  en  verve  ! 

LE  DUC. 

Oh!  oui,  sur  ma  parole! 

Riant. 

L'aventure  est  si  drôle  et  l'intrigue  si  folle!... 
£a  amour,  je  suis  dieu  ! 

Il  se  lève. 

Mais  avant  tout,  mon  cher^ 
Bien  que  dieu,  je  me  sens  un  appétit  d'enfer. 

Appelant. 

Holàt  quelqu'un! 

Entre  un  valet.' 

Qu'on  serve... 

LAURENT. 

Et  le  conseil? 

LE  DUC. 

Au  diable  ! 
Le  conseil  attendra. 

LAURENT. 

C'est  juste... 

On.  apporte  une  table  sur  laquelle  un  de'jeuner  est  servi. 
Le  Duc  faitsigne.k  Laurent  de  prendre  place  à  ses  côtés. 

LE  DUC. 

Allons,  à  table. 
Assieds-toilà,  mon  hôte,  et,  pour  quelques  instans. 
Sois  moins  homme  d'état...  chaque  chose  a  son 

[  temps. 

Tout  en  versant  \  boire. 

Devine  d'où  je  viens...?  Je  te  le  donne  en  mille. 

LAURENT. 

De  chez  Maria  Fiorli? 

LE  DUC. 

Cette  vertu  fragile, 
Dont  l'époux  s'est  tué,  dit-on,  de  désespoir? 
Ob!  non.. 

LAURENT. 

DechezBianca? 

LE  DUC. 

Bohémienne  au  teint  Doir  I 
Eacor  moins... 

Riant. 

Aht  vraiment,  j'en  ai  quelque  scrupule. 
Je  reviens... 

LAtRKNl,',  — 


LE  DUC,  mystérieusement. 

Du  couvent  Sainte-Ursule l 
O  mon  ami  Laurent,  quelles  divinités 
Que  ces  nonnes  !  Tous  deux  buvons  à  leurs  santés. 

Il  remplit  le  verre  de  Laurent,  et  trinque  avec  lui. 

Voilà  ce  qu'il  fallait  pour  nos  amours  changeantes  l 
Quels  trésors  inconnus  I  Les  âmes  indulgentes! 
Tiens,  ne  me  parle  plus  de  nos  beautés  des  cours, 
De  Juana  Ginori,  que  tu  vantes  toujours, 
Cette  froide  coquette,  impassible  statue,  tue. 

Qui  de  son  grand  œil  noir  complaisamment  vous 
Et  qui,  jouant  après  de  grands  airs  de  hauteur. 
Prétend  rester  en  tout  une  dame  d'honneur. 
Sur  mon  ame,  il  n'est  rien, pour  un  amour  qui  s'use, 
De  plus  gai,  de  plus  neuf,  de  tel  qu'une  recluse! 
Prendre  à  l'époux  ses  droits,  c'est  déjà  bien,  mor- 

[  bleui 
Mais  c'est  bien  plus  piquant  de  les  voler  à  Dieu  ! 

LAURENT,  indifféremment. 
Ainsi  donc,  c'est  conclu  :  nous  laissons  la  marqu  ise, 
Et  nous  nous  retirons  sans  la  place  conquise  ? 

LE  DUC. 

Qu'en  dis-tu? 

LAURENT. 

Moi,  je  dis,  à  parler  franchement, 
Que  je  la  laisserais... 

LE  DUC. 

N'est-ce  pas? 

LAURENT. 

Oh!  vraiment, 
La  retraitée  ce  point  n'est  pas  sans  quelque  honte. 
Mais  il  est  des  vertus  qu'aucun  soin  ne  surmonte, 
Et  par  malheur  pour  nous,  nous  sommes  dans  ce 
LR  DUC.  [  cas. 

Ob!  si  je  voulais  bien... 

LAURENT. 

Vous  n'arriveriez  pas  ! 

LE  DUC. 

Quoi  1  tu  ne  sais  donc  pas  que  cette  ame  rebelle 
Aima,  dit-on,  Strozzi? 

LAURENT. 

Raison  de  plus;  la  belle 
A  ce  premier  amant  peut-être  songe  encor. 
Et  d'un  cœur  tout  constant  lui  garde  le  trésor. 

LE  DUC. 

Tu  crois?  Mais  qu'a-t-il  donc  pour  charmer  la  traî- 
Ce  Pierre?  Il  n'est  pas  mal...  [  tresse, 

LAURENT. 

Moins  bien  que  votre  altesse. 

LE  DCC. 

Il  compte  vingt-six  ans...  j'en  ai  vingt-six  aussi. 
Il  est  proscrit. ..  moi,  duc  l 

LAURENT. 

Il  s'appelle  Strozzi  I 

LE  DUC. 

Qu'est-co  à  dire  î 

LAURENT. 

Qu'à  lui  ce  qui  fait  qu'on  s'attache. 
C'est  justement  ce  nom  qui  dans  l'exil  se  cache  : 
Qu'il  est  d'autant  plus  cher  qu'il  est  plus  mal- 

{heureux. 


8 


MAGASIN  THEATRAL; 


les  femmes,  monseigneur,  ont  le  cœur  généreux; 
Qu'aujourd'hui  rappelé,  Strozzi  rentre  à  Florence, 
Demain  Juana  l'y  \oit  avec  indifférence... 
Qui  sait  même  bientôt  si  son  tendre  intérêt 
Sur  un  rival  clément  ne  se  porte  en  secret?... 

LE  DUC. 

Peut-être  as-tu  raison,  Laurent,  et  cette  idée 
D'employer  la  clémence  est  assez  bien  fondée. 
Soit:  en  temps  opportun  nous  verrons... 
UN  HUISSIER,  annonçant. 

Le  conseil. 
LE  DUC,  à  Laurent. 
Tu  jugeras  pour  moi  si  je  cède  au  sommeil..» 

Entrent  Vitelli  et  sa  troupe.  Les  archers  forment  à  la  porte 
une  liaie  que  traversent  deux  à  deux,  les  quatre  conseil- 
lers du  tribunal  des  huit,  le  comte  Ot ta  vioManBe'ri,  leur 
président,  en  tête.  Ce  ce're'monial  termine,  les  soldats 
se  rangent  à  droite,  et  les  conseillers,  placés  à  gauche  a 
côté  de  leurs  sie'ges,  attendent,  chapeau  bas,  que  le  Duc 
se  lève  de  table. 

WVWVVVWW%VVlWkVWVVVlW«\/WWVVXV  A^VWWVW\tV\iVV\VWVW 

SCENE  V. 

LAURENT,  LE  DUC,  LE  COMTE  OTTAVIO 
MANFIERI, l'Huissier  du  conseil.VITELLI, 

'Commandant  de  la  citadelle,  LES  QUATRE  Con- 
seillers DES  Huit,  Arcuers. 

LE  DUC,  s'essiiijant  les  lèvres. 
Aht  je  me  sens  refait  1 

11  se  verse  une  dernière  rasade. 

Ce  Chypre  est  délectable! 

LAURENT. 

C'est  du  Falcrne. 

LE  DUC,  après  avoir  bu. 

Soit...  je  puis  sortir  de  table. 

11  se  lève  ne'anraoins  avec  dilficulle',commeun  homme  dont 
la  léte  est  un  peu  lourde,  ets'appuyant  familièrement 
sur  l'e'paule  de  Laurent. 

A  mal  juger,  en  tout,  rappelle-toi,  mon  eher, 
Q  ie  rien  ne  porte  autant  qu'un  repas  fait  en  l'air: 
Et  si  j'avais  été  le  père  d'Alexandre, 
Philippe,  ce  grand  roi,  certes  j'aurais  fait  pendre 
La  vieille,  qui,  prenant  un  temps  inopportun, 
Osait  en  appeler  au  roi  Philippe  à  jeun! 

Oq  enlève  la  table  ;  pendant  ce  temps,  le  Duc  va  s'asseoir 
à  droite  sur  uu  sie'ge  plus  élevé  que  les  deux  autres,  fait 
signe  â  Laurent  et  à  Vitelli  devenir  prendre  place  à  ses 
côtes,  puis  s'adressaiit  aux  conseillers  qui  attendent  en 
face. 

A  nos  places,  messieurs,  je  vous  donne  audience... 


Ceux-ci 


ancnt  leurs  sièges. 


Que  dit-on  de  nouveau?  que  fait-on  dans  Flo- 

[rence? 
LE  COUTE,  se  levant,  «n  papier  à  la  main,  d'une 

voix  grave. 
Ce  matin,  six  janvier  mil  cinq  cent  trente-six. 
Les  Quarante  en  conseil  et  trente  contre  dix. 
Ont  jugé  les  nommés  Bai  tholomé  Corlone 
Et  Pierre  Alemanni,  convaincus  en  personne 
D'avoir  injurié  le  duc. 


LE  DUC. 

Ils  ont  eu  tort... 
A  quoi  conclut  l'arrêt? 

LE  COMTE,  le  faisant  passer  au  Duc. 

A  la  peine  de  mort. 
LE  DUC,  le  signant  et  le  lui  renvoyant. 
C'est  bien...  Cette  leçon  saura,  j'espère,  apprendre 
Si  je  suis  un  bâtard,  moi,  le  duc  Alexandre  ! 
Après... 

LE  COMTE,  un  autre  papier  à  la  main. 
Hier  au  soir,  la  ronde  du  prévôt 
D'armes  au  quartier  neuf  a  surpris  un  dépôt. 
Cinq  hommes  en  ce  lieu  tenaient  leur  conférence; 
Et  comme  ils  opposaient  un  peu  de  résistance. 
On  en  a  tué  trois... 

LEDUC. 

Et  les  autres? 

LE  COMTE. 

Soumis, 
Dans  la  prison  d'état  sur  l'heure  ont  été  mis. 

LE  DUC,  se  levant. 
L'audace  de  ces  gens  de  jour  en  jour  s'augmente, 
Messieurs.  C'est  là  le  fruit  d'une  loi  trop  clémente. 
Si,  lorsque  Charles-Quint,  cet  illustre  empereur. 
Séjourna  parmi  nous,  j'ordonnai  par  honneur. 
Ne  trouvant  pas  de  porte  assez  haute  à  sa  taille. 
Qu'on  abattît  pour  lui  tout  un  pan  de  muraille; 
Si  je  permis  par  suite,  et  cela  pour  un  mois, 
Que  chaque  citoyen  armé  comme  autrefois, 
La  pertuisane  au  poing,  saluât  son  passage. 
Et  d'un  peuple  guerrier  lui  présentât  l'image; 
Par  le  même  décret  il  fut  bien  entendu 
Qu'à  son  départ  tout  fer,  aux  arsenaux  rendu, 
Ne  demeurerait  point  en  des  mains  inhabiles. 
Pour  servir  d'instrument  aux  discordes  civiles... 
Point  d'armes  dans  ces  murs...  je  l'ai  dit.  Je  le 

[  veux. 

Il  se  rassied. 
LE  COUTE. 

Aux  détenus  que  faire? 

LE  DUC. 

Exiler  chacun  d'eux... 
Est-ce  tout? 

LE  COUTE. 

Non,  altesse...  il  rcsteà  voussoumei;rr> 
Deux  placets... 

LE  DUC. 

A  demain... 
LE  COUTE,  insistant. 

On  ne  peut  les  remettre. 
lE  DUC,  avec  impatience, 
'Vite  alors. 

LE  COMTE,  le  premier  placct  à  la  main. 

L'un  des  deux  est  au  nom  d'Uonesta. 
La  postulante  expose  aux  juges  deBalia 
Que,  rentrant  tard  chez  lui,  le  vingt-quatre  d'oc- 

[  tobre , 
Son  mari,  doux,  honnête,  ouvrier  sage  et  sobre. 
Par  vos  gens  attaqué  sur  le  pont  Saint-Esprit, 
Et.  jeté  dans  TArno,  sans  secours  y  périt... 
"Veuve,  elle  reste  avec  trois  cnfans  en  bas  âge,. 


Et  voudrait  cent  ducats  à  titre  de  dommage. 

LB  DUC. 

Cent  ducats  !  Elle  est  folle!  A  l'autre,  s'il  vous  plaît. 
On  ne  peut  sur  ce  fait  admettre  de  placet. 
C'était  passé  minuit...  Or,  à  cette  heure  indue, 
Sans  de  mauvais  projets  on  ne  court  pas  la  rue. 

lE  COMTE,  prenant  le  second  placet. 
L'autre  est  au  nom  d'Otto,  le  père  de  l'enfant 
Par  vos  chevaux  foulé  :  depuis  cet  accident, 
Au  fils  il  a  fallu  couper  la  jambe  droite. 

LE  DUC. 

Depuis  cet  accident,  mon  meilleur  cheval  boite. 

LE  COAIIE. 

Otto  veut  vingt  ducats. . . 

LE  DUC. 

C'est  juste.  Il  est  en  droit  : 
Mon  cheval  en  vaut  cent...  c'est  quatre-vingts  qu'il 

[  doit... 

Il  ne  reste  plus  rien?. . .  point  de  complot,  de  crime, 

Point  de  délation  par  la  voie  anonyme? 

LE  COMTE,  prenant  au  fon     d'une  boîte,  apportée 

par  l'huissier  du  conseil  au  commencement  de  la 

scène,  le  parchemin  que  Scoroucoulo  a  dépose 

aux  Huit. 

Une  seule... 

LAURENT,  à  part. 

O  mon  cœur,  contiens-toi! 
LE  COMTE,  le  faisant  passer  au  Duc. 

La  voilà. 
LE  DUC,  soupesant  le  paquet  comme  un  homme  qui 

craint  qiielque  embûche. 
Diantre!  elle  est  grave  au  poids... 

Il  le  passe  par  précaution  à  Laurent. 

Tiens,  Laurent,  lis-nous-la. 

Se  reculant. 

Etprcndsgarde,on  ne  saitsousunpareilvolume... 

Laurent  rompt  rapidement  le  cachet,  et  tire  le  poignard 
et  récrit. 

Un  poignard!  qui  m'écrit  avec  si  forte  plume? 
LAURENT,  qui  a  l'air   de  lire  le  billet,  se  levant 

brusquement. 
Juste  ciel!  qu'ai-je  lu?  l'infâme  trahison! 
Au  lion  de  Florence,  ici  dans  la  maison 
Qui  touche  à  ces  remparts... 

LE  DUC 

Eh  bien  1  quoi?  parle,  qu'est-ce  î 

LAURENT. 

On  conspire  à  présent  contre  vos  jours,  altesse! 

LE  DUC. 

Il  se  pourrait,  Laurent  ? 

LAURENT,  tenant  toujours  la   dénonciation  pré- 
;  tendue. 

'î  Oui,  Bçlmonte,  Pazzi, 

Manfredini,  messieurs,  ces  traîtres  sont  ici  ! 

Et  quand  au  poids  de  l'or  on  paie  une  police, 

Par  quilesavons-nous...?parStrozzi,leur  complice. 

LE  DUC. 

Pierre  Strozzi? 

LAURENT. 

Lui-môme. ..  à  ce  mot  de  sa  main, 
^fon  nom  sur  ce  fer,  qui  n'en  serait  certain? 

Il  remet  le  poiRuarcl  et  le  Lillct  au  Duc. 


LAUR£JNT  DE  MÈDICIS.  ^ 

LE  DUC,  examinant  l'un  et  l'autre. 
C'est  juste;  c'est  bien  lui  qui  rompt  cetépaisvoile«, 

Avec  surprise. 

Et  qui  le  pousse  à  moi? 

LAURENT,  à  mi-voix,  à  son  oreille. 

Qui?  votre  heureuse  étoile..», 
Juana  vous  appartient. 

LE  DUC. 

Tu  crois  ? 

LAURENT. 

Dès  ce  moment. 
Mais  suivez  mon  conseil,  et  montrez-vous  clément. 

LE  DUC. 

Nous  verrons...  Qu'à  l'instant  tous  quatre  onlesar- 
LAURENT,  avec  empressement,       [rête. 
J'y  cours. 

LE  DUC,  le  retenant. 

Non;  Vitclii... 

"VitelU  s'apprête  avec  sa  troupe. 

Des  fourbes  sur  ta  tête 
Songe  que  tu  réponds...  En  jetant  trois  aux  fers, 
Amène  devant  nous  Strozzi, le  moins  pervers. 

Vitelli  sort  avec  les  archers. 


LAURENT,  à  part. 

O  ciel!  j'avais  compté  les  arrêter  moi-même. 
Le  prévenir  à  temps...  infernal  stratagème! 
C'est  un  autre...  que  faire? 

Comme  par  inspiration. 

Ah  !  j'y  suis,  j'ai  trouvé.. < 
Qu'il  vienne!  et  s'il  se  perd,  il  est  encor  sauvé. 

VW^VV\VV4W.V\VVWVWVl^lVV,\.VVWVVWWlV\\Vl\IV\VVWVWVVlWW 

SCENE  VI. 

LAURENT,  LE  DUC,  LE  COMTE  OTTAVIO. 
MANFIERI,  LES  QUATRE  Conseillers  des 
Huit. 

le  DUC,  se  promenant  de  long  en  large  sur  le  «Zc-- 
vant  de  la  scène,  le  poignard  et  l'écrit  de  Strozzi 
à  la  main. 
Toujours  des  assassins  et  toujours  des  vengeances! 
Quand  donc  seront-ils  las  de  toutes  leurs  offenses. 
Ces  fauteurs  de  discorde?  et  quand  donc  à  nos  yeux 
Ne  trameront-ils  plus  leurs  complots  odieux? 
Non  contens  de  prêcher  dans  l'Italie  entière 
Une  révolte  armée;  organisant  la  guerre, 
Endoctrinant  le  pape,  et,  par  ambassadeur. 
Traitant  comme  puissance  auprès  de  l'empereur, 
Ils  vont  encor  plus  loin...  pour  la  voir  assouvie, 
A  leur  rage  il  ne  faut  rien  moins  que  notre  vie! 
Misérables!  c'est  bien,  aiguisez  le  couteau; 
Moi,  je  vais  préparer  la  hache  du  bourreau. 
Qu'elle  tombe,  et  d'un  coup  tranche  la  triple  tête 
De  l'hydre  renaissante  à  nous  dévorer  prête. 
II  vous  faut  un  exemple?  eh  bien,  soit!  vous  l'aurez. 
Mais  terrible,  effrayant,  car  pour  tous  vous  paîrcz. 

LAURENT,  à  part. 

Avant,  nous  réglerons  notre  compte,  mon  maUr«i 


10 


MAGASIN  THEATRAL. 


•WWWVWVI*VVVWiVViVtWViW*W\VVXlM/VWWVVV*WWV%W*VW  VVVWVVWVVVl/%VVVVWVVVVVVV*M*V*V*VV*VMiVV%*V«(VWVM,VVVVWVV» 


SCENE  VII. 

LAURENT,  LE  DUC,  LE  COMTE,  tKS  quatre 
Conseillers,  VITELLI,  PIERRE  STROZZI, 

aumilieude  quatre  archers  qui  Vamènent. 

tE  DUC,  à  part. 
Voici  Strozzil  que  faire  à  l'égard  de  ce  traître? 
Pardonner  ou  sévir?...  Ah!  soyons  généreux! 
Un  pardon  à  ce  prix,  c'est  un  supplice  affreux. 

Il  s'avance  vers  Strozzi,qui,1a  tête  haute  et  les  bras  croise's 
semble  attendre  fièrement  sa  sentence. 

Pierre,  sans  nul  détour  réponds  à  qui  te  juge, 
Dis-nous  la  vérité,  point  de  vain  subterfuge. 
Qui  dans  notre  chemin  te  jette  en  ce  moment? 

STROZZI,  avec  une  noble  assurance. 
C'est  à  la  bonne  cause  un  entier  dévoûment. 

LATJREn:^,  à  part,  avec  joie, 
BienI 

LE  DUC 

Tu  le  reconnais? 

STROZZI,  sur  le  même  ton. 

Sans  peur  je  le  confesse. 
LE  DUC,  au  conseil. 
Vous  l'entendez,  messieurs. 

Aux  Arcbers. 

Libre  ici  qu'on  le  laisse. 

Les  Archers  s'écartent,  à  la  grande  surprise  de  Strozzi.  Le 
Duc  s'avance  plus  près,  et  lui  montre  le  poignard. 

C'est  bien  là  ton  poignard? 

STROZZI. 

C'est  le  mien. 
LBDDC,  lui  montrant  le  feuillet  de  ses  tablettes. 

Et  ces  mots 
Qui  nous  ont  révélé  le  plus  noir  des  complots, 
Sont  bien  de  toi  ? 

STROZZI. 

De  moi. 

LE  DUC. 

Citoyen  de  Florence, 
Nous  te  félicitons;  le  service  est  immense. 

STROZZI. 

•Que  dit-il? 

LE  DUC,  au  conseil. 
Dans  ses  biens  par  décret  rétabli, 
Qu'à  l'instant  Slrozzi  sorte  et  d'exil  et  d'oubli  ! 
Qu'il  soit  riche,  puissant  ! 

STROZZI. 

Mais  l'on  me  déshonore  ! 
C'est  une  trahison. 

LE  DUC,  continuant. 

Que  personne  n'ignore 
Ce  qu'il  a  fait  pour  nous,  comment  il  m'a  sauvé  ; 
les  autres  au  bourreau.  Le  conseil  est  levé. 

LeDucsortjlaissant  Strozzi  muet  d'ctonncment  ctdo  sur- 
prise ;  le  conseil  le  suit,  ainsi  que  VitoUi  9t  99  WTOUpe. 


SCENE  VIII. 

LAURENT,  STROZZL 

STROZZI,  revenant  peu-à  peu  de  sa  stupeur. 
L'ai-je  bien  entendu?  mais  où  donc  est  l'infùme...? 

Il  se  retourne  et  aperçoit  Laurent  immobile  à  sa  place 
et  qui  semble  l'attendre. 

Laurent!  ah!  de  fureur  j  e  sens  bondir  mon  ame  ! 

Il  s'approche  de  lui,  et  le  regardant  en  face. 

Tu  m'envisages,  traître,  et,  les  yeux  sur  mon  front. 
Tu  joins  encor  l'insulte  à  ce  public  affront! 
Mais  tu  ne  sais  donc  pas  qu'ici  même,  sur  l'heure. 
Il  faut  que  ton  trépas  me  venge  ou  que  je  meureT 

LAURENT,  froidement. 
Je  le  sais,  car  tu  vois,  quand  chacun  t'a  quitté. 
Pour  te  rendre  raison,  moi  seul  je  suis  resté. 
STROZZI,  mettant  la  main  sur  son  épée. 
En  garde  donc,  en  garde!  et  croisant  ton  épée... 

LAURENT,  impassible. 
Jamais  au  sang  d'un  frère  elle  ne  fut  trempée. 

STROZZI. 

Un  frère,  misérable!  Eh!  suis-je  encor  le  tien. 
Toi  qui  m'as  pris  l'honneur,  l'honneur,  mon  der- 
Défends-toi.  [nier  bien? 

LAURENT,  voulant  s'expliquer. 
Pierre,  écoute. 

STROZZI. 

Ah  !  oui,  voilà  ta  tâche. 
Parler  pour  vous  trahir  !  Laurent,  tu  n'es  qu'un 
LAURENT.  [lâche. 

Pierre! 

STROZZI. 

Unhommesans  foi,  qui  n'as  rien  dans  lecceurl 

LAURENT. 

Pierre... 

STROZZI. 

Un  poltron  enfin  qu'on  insulte  sans  peur! 

Il  lui  jette  son  gant  au  visage. 
LAURENT,  éclatant  à  son  tour. 
Cette  fois,  c'en  est  trop  !  de  ton  aveugle  rage, 
Vois,  sans  trembler,  Strozzi,  je  relève  le  gage. 
J'ai  su  sauver  tes  jours,  tu  veux  prendre  les  miens. 
Soit!  attends  à  minuit,  alors  je  t'appartiens. 

STROZZI. 

Quoi!  si  tard! 

LAURENT. 

Pas  avant. 

A  part. 

Ce  temps  doit  me  suffire. 

Haut. 

Ou  oous  rcvcrroQs-nousl 

STROZZI. 

Je  te  l'eoTerrai  dire, 
U  sort. 


LAURENT  DE  BIÉDICIS. 


ai 


*V\VV\vvvvvv*^(\(VV\*v\v»^viAvwv,AvvxvvxvviVV\VVVVM1*»VV\*V\VV\VMV^ 


vv\^■v\w^^v^vw'vv^^v^w\^\^>•\^  »>>»%■>>)•}>■»■)  n>vvvv»  VI  VMVw 


ACTE  DEUXIEME. 


Une  galcri  dans  le  palaîs  du  Duc.  A  droite  de  l'acteur,  une  porte  fermée  par  une  simple  tapisserie,  qui  conduU  aux 
appartemens  de  la  duchesse.  A  gauche,  un  Lalcon  donnant  sur  une  place  de  Florence. 


SCÈNE  PREMIERE. 

LORENZO,  SALVIATI,  ANDRÉA  CORSINI, 
PITTI,  LE  CARDINAL  CIBO,  JULIEN 
BUONAMICI  DE  PRATO ,  LE  COMTE 
OTTAVIO  MANFIÉRI,  Codrtisans. 

Au  lever  du  rideau  ,1a  scène  est  occupée  dans  le  fond  par  dif- 
férens  groupes  de  Courtisans  qui  se  promènent,  causant 
entre  eux,  et  attendent  pour  aller  faire  leur  cour  qu'on 
ouvre  la  porte  des  appartemens  de  la  Duchesse.  Parmi 
eux  se  remarquent  au  premier  rang  Lorenzo  Salviati,  An- 
dréa Corsini,  jeunes  seigneurs  des  premibics  familles 
de  Florence,  Pitti,  chef  de  la  banque,  le  cardinal  Ciho, 
et  Julien  Buonamici  de  Prato,  religieux  de  l'ordre  des 
Carmes,  qui  passait  alors  pour  un  astrologue  fameux  ; 
survient  en  dernier  le  comte  Ottavio  Manfiéri. 

lE  COMTE,  entre  comme  un  homme  préoccupé, 
sans  saluer  personne,  et  quand  il  est  une  fois 
tout-à-fail  en  scène,  il  se  dit  à  lui-même. 
Je  l'avais  bien  pensé...  de  cette  trahison 
Il  ne  pouvait  souiller  l'honneur  de  sa  maison. 
Oui,  Strozzi,  je  te  crois;  à  toi  je  m'en  rapporte; 
Ton  but  était  coupable,  et  l'entreprise  avorte. 
C'est  juste.. .mais  au  moins  sauvons  les  malheureux 
Qu'à  tort  tu  compromis  par  d'imprudens  aveux. 
Que  ta  voix,  que  la  mienne  en  leur  faveur  proteste; 
Gagnons  ainsi  du  temps...  et  Dieu  fera  le  reste! 

II  se  retourne  et  promène  ses  regards  sur  la  foule  de  Cour- 
tisans qui  occupent  le  fond  delà  galerie. 

Diantre!  il  paraît  qu'on  sait  la  nouvelle  du  jour! 
Quelle  foule  empressée  à  faire  ici  sa  cour  1 
Haut  commerce,  clergé,  noblesse,  rien  n'y  manque: 
Lorenzo,  Corsini,  Pitti,  chef  de  la  banque, 
Le  cardinal  Cibo,  jusqu'à  ce  moine  enfin. 
Astrologue  en  renom,  dont  on  fait  un  devin, 
Mais  qui  vient  un  peu  tard  complimenter  le  maître, 
Lui  qui  doit,  par  état,  tout  prévoir  et  connaître. 
Oh  !  que  vous  voilà  bien,  race  vraiment  à  part, 
Courtisans  éhonlés!  pas  un  n'est  en  retard! 
C'est  à  qui ,  composant  son  air  et  son  visage, 
Saluera  le  premier  le  duc  à  son  passage, 
Et,  le  félicitant  du  péril  dont  il  sort, 
Le  bénira  vivant  quand  il  le  voudrait  mort. 
Sur  de  pareils  appuis  faut-il  donc  que  je  compte? 
A  rien  mendier  d'eux  vraiment  j'ai  quelque  honte. 
Mais  enfin  le  temps  presse...  essayons...  il  le  faut. 
Dans  une  heure  peul-ôtre  on  dresse  l'échafaud 

a  t'sppretbs  i'wc  (a]^l«  av  «e  d^poseAl  tt)biitut;Uvmt:at 


les  pétitions  adressées  au  Duc,  et,  tournant  le  dos  à  la 
porte  de  la  galerie  et  à  celle  par  laquelle  on  entre  chez 
la  Duchesse,  il  s'assied  et  jette  un  placet  sur  la  tahic; 
son  geste  attire  l'attention  des  Courtisans  ;  tous  le  regar- 
dent avec  étonnement  et  se  rapprochent.  Quand  il  a 
pr>s  connaissance  du  placet,  il  se  lève,  et  s'adressant  à 
la  1  ouïe  qui  lui  fait  face,  il  dit  : 

Messieurs,  un  attentat  a  menacé  Florence, 
Attentat  inouï,  qui  tient  de  la  démence... 

Comme  il  achève  ces  mots,  le  Duc  paraît  derrière  lui  sur 
le  seuil  de  la  porte  d'entrée.  Il  fait  signe  de  la  main  aux 
Courtisans  qui  l'aperçoivent  de  ne  point  interrompre 
le  comte  Ottavio  en  trahissant  sa  présence.  Ceux-ci 
obéissent,  et  le  Comte  continue  sans  se  douter  que  le 
Duc  est  Ta  qui  prête  l'oreille. 

VWVWVVWVVWWVWVV«WWWVVWVWVWVV1,VVVVWW\VWVWVWW» 

SCENE    II. 

Lss  Mêmes,  LE  DUC. 

LE  COMTE.  [lois. 

Les  auteurs  sont  trois  fous...  aux  termes  de  nos 
De  haute  trahison,  convaincus  tous  les  trois. 
Ils  peuvent  à  l'instant  envoyés  au  supplice. 
Etre  décapités...  le  crime  est  clair...  justice! 
Cependant,  pensons-y;  toujours  hors  du  fourreau. 
Voir  un  glaive  qui  brille  en  la  main  du  bourreau. 
C'est  un  triste  spectacle  à  l'époque  où  nous  sommes. 
La  mort  a  bientôt  fait  de  moissonner  des  hommes  : 
Or,  combien  sans  égardspourl'àgeetpour  lerang. 
Depuis  cinq  ans  passés  prodiguons-nous  de  sang? 
Du  plus  pur,  sans  pitié,  nous  épuisons  nos  veines  : 
L'échafaud,  en  nos  murs,  tientlieu  de  toutcspeines. 
Sur  le  moindre  prétexte,  au  plus  léger  soujiçon. 
On  prend  un  malheureux,  on  le  traîne  en  prison; 
Et  sans  l'avoir  jugé,  sans  nulle  procédure, 
On  l'envoie  à  la  mort...  Oh!  mais  si  cela  dure, 
Savez-vous  bien,  messieurs,  ce  qu'il  en  adviendra? 
Que  le  peuple  à  ce  sang  un  jour  s'enivrera. 
Et  que  brisant  ses  fers,  votre  unique  refuge. 
Des  bourreaux  à  son  tour  il  se  fera  le  juge! 
Je  respecte  du  duc  les  suprêmes  arrêts... 

LE  orc,  l'interrompant. 
Vraiment,  comte  Ottavio? 

Moment  de  silence  général.  Le  Comte,  élonné,so  retourne. 
1.0  Une  alors  quitte  sa  place  et  vient,  les  hras  croisés,  sa 
DltlU«eufiCC<]ului, 


12 


MAGASIN  THEATRAL. 


Continuez:  après... 
LE  COMTE,  avec  une  fermeté  respectueuse. 

Je  voudrais  moins  qu'un  autre,  à  ses  ordres  con- 

[  traire, 
Par  ma  démarche  ici,  l'irriter,  lui  déplaire; 
Mais  dût-il  m'en  punir,  je  le  dis  sans  effroi. 
J'entends  user,  messieurs,  du  bienfait  de  la  loi... 
Assurément  Pazzi,  Belmonte  son  complice. 
Traîtres  au  premier  chef,  sontdignes  du  supplice: 
Manfredini  n'est  point  moins  coupable  à  mes  yeux; 
Le  texte  est  là...  le  duc  n'a  qu'à  dire  :  Je  veux; 
Chacun  d'eux,  sur  ce  mot,  au  fer  livre  sa  tête... 
Mais  qu'ajoute  la  loi?  Que,  si  formant  requête, 
Trois  nobles,  homme  ou  femme,  attaquent  cet  ar- 
II  y  sera  sursis.  Duc,  dans  votre  intérêt,        [rêt, 
Par  respect  pour  vous-même  et  pour  votre  mé- 

Cmoire, 

Il  prend  la  plume  et  signe. 

Je  m'oppose. 

LE  DUC,  avec  une  rage  concentrée. 
Merci,  vous  songez  à  ma  gloire! 
Vous  êtes  seul? 

LE  COMTEo 

Non  pas,  un  autre  signe  aussi. 

LE   DUC. 

Quel  est  cet  insolent? 

LE  COUTE. 

Qui,  duc?  Pierre  Strozzi! 

LE   DUC. 

Ah!  voilà  quel  usage  il  fait  de  ma  clémence? 

LE  COMTE. 

C'est  son  droit  :  noble,  il  est  citoyen  de  Florence? 

LE  DUC. 

C'est  juste...  j'oubliais  que,  pour  prix  de  ses  biens. 
Il  nous  avait  tantôt  vendu  le  sang  des  siens!... 
Notre  marché  tiendra;  car  ce  n'est  pas  tout,  comte; 
Deux  noms  à  ce  placet  ne  font  pas  notre  compte: 
Il  en  faut  un  troisième... 

Il  se  retourne  vers  le  groupe  de  Courtisans, et  promenant 
sur  eux  des  regards  scrutateurs. 

Allons,  qui  signera? 

Personne  ne  bouge;  tout-à-coup,au  milieu  du  silence  géné- 
ral ,  la  portière  qui  ferme  les  appartemens  de  la  Du- 
clicsse  se  tire,  deux  femmes  paraissent  ;  l'une  d'elles 
s'avance  et  dit  en  prenant  la  plume. 

IDANA. 

Moi,  Juana  Ginori,  marquise  de  Leva. 

Elle  signe  d'une  main  ferme  et  présente  le  placet  au  Duc  ; 
celui-ci,pâle  de  colère,  l'arraclie  plutôt  qu'il  ne  le  prend, 
et,  le  froissant  de  rage,  il  entre  chez  la  Duchesse  en  je- 
tant un  coup  d'œil  menaçant  k  Ottavio. 

VWV^W\^V^VWWVV\VVV^W\VWV»/VVWWVWWV■».>^v^^>>.%\vvv\^■^VV«. 

SCENE  III. 

Les  Mêmes  hors  LE  DUC  ;  JUANA  GINORT, 

dame  d'Iionneur  de  la  jeune  duchesse  Margue- 
rite d'AiUriche,  LUCRECIA,  «ne  dç  ses  camû- 
ristes. 


LE  COMTE,  félicitant  la  marquise, 
Qu'avez-vous  fait,  madame?...  à  ce  trait  de  cou 
JUANA.  [rage... 

De  vos  nobles  discours  reconnaissez  l'ouvrage. 
Comte... 

Montrant  la  portière. 

J'entendais  tout. 

LE  COIITE« 

Et  vous  avez  osé?... 

JUANA. 

Après  vous  et  Strozzi,  mon  rôle  était  tracé. 

Elle  se  tourne  vers  les  Courtisans  et  leur  dit  avec  gra- 
cieuseté. 

Messieurs,  je  viens  bien  tard  pour  combler  votro 

[attente.. 

Tous  les  Courtisans  s'inclinent,  et  déjà  quelques  uns  se 
dirigent  vers  les  appartemens  du  Duc.  Alors,  sans  se 
déranger  de  sa  place,  Juana  ajoute  fièrement  : 

Maison  ne  reçoit  pas  :  la  duchesse  est  souffrante. 

Désappointés,  les  Courtisans  changent  de  route  et  se  reti- 
rent les  uns  après  les  autres.  Ottavio  sort  le  dernier  en 
échangeant  un  salut  respectueux  avec  Juana, 

V>AVVVVVVVVVVVVVVVVVVVVV«VVtlVMVVVVVVVVVVVWVVVVVVVVVVVVVV\VVV 

SCENE  IV. 

JUANA,  LUCRECIA: 

JUANA,  vivement  à  Lucrécia  aussitôt  que  les  Cour- 

tisons  sont  sortis, 
0  Lucrécia!  comment  d'un  esprit  agité  ' 
Te  peindre  les  tourmens,  la  triste  anxiété  ? 

LUCRÉCIA. 

Madame.... 

JUANA. 

Conçoit-on  qu'en  aussi  peu  d'espace 
Tant  de  trouble  en  un  cœur  se  succède  ctse  passe? 

LUCRÉCIA. 

Calmez-vous. 

JUANA. 

Eh!  le  puis-je,  alors  que,  de  concert. 
Tout  me  confond,  m'accable  1  Oh!  ma  tète  se  perd! 
Dans  tant  de  faits  divers  que  croire,  que  résoudre  î 
Que  penser  de  Strozzi  ?  le  condamner?  l'absoudre? 
Le  supposer  fidèle  ou  traître  à  ses  amis. 
Et  partant  digne  encor  d'estime  ou  de  mépris? 
Comment  est-il  ici?  que  fait-il  dans  Florence  ? 
Pourquoi  ne  m'a-t-il  point  annoncé  sa  présence? 
Quoil  c'est  par  d'autres  voix  que  j'apprends  son 

[retour  ! 
Ah  !  si  tel  est  le  prix  qu'il  garde  à  mon  amour, 
Si  ce  sont  là  les  soins  dont  son  ingrate  flamme 
Compte  en  secret  payer  tous  les  vœux  de  mon  ame. 
Pourquoi  faut-il  encor  que,  trop  faible  aujour-, 

[d'huî, 
Au  lieu  de  l'oublier,  je  m'intéresse  à  lui?... 

LUCRÉCIA. 

N'anticipez  sur  rien,  madame  :  ici  peut-être 
De  8es  actes  Strozzi  n'a  point  été  le  maître. 


LAURENT  DE  MEDICIS. 


13 


Avant  de  le  juger,  voyez,  rappelez-vous, 
Si  libres,  en  tout  temps  nous  dépendons  de  nous? 
Je  sais  qu'il  court  partout  une  rumeur  confuse  : 
Qu'on  loue  ici  Strozzi,  que  plus  loin  on  l'accuse... 
Qu'on  parle  vaguement  de  traîtres,  de  complots... 
Mais  sont-ce  donc  des  faits,  madame,  que  ces 

[mots, 
Et  devez  vou.s,  doutant  de  l'homme  qui  vous  aime, 
Le  condamner  avant  de  l'entendre  lui-même? 

JDANA. 

Qu'ingénieuse,  hélas!  à  tromper  mon  ennui. 
Ton  amitié  me  prête  un  secourable  appui , 
Lucrécia!  que  tu  sais,  attentive  à  mes  plaintes, 
Alléger  avec  art  mes  soupçons  et  mes  craintes! 
Oh!  je  te  remercie!  Éloquente  en  ce  jour, 
Par  tes  tendres  conseils  rassure  mon  amour  : 
Dis-moi  qu'il  m'aime  encor,  qu'à  ses  yeux  tou- 

[j  ours  chère, 
Je  ne  me  repais  point  d'une  vainc  chimère; 
Qu'un  motif  tout-puissant  l'enchaîne  loin  de  moi, 
Mais  qu'il  m'a  su  garder  une  constante  foi..: 
Enfin,  pour  l'excuser,  vois,  parle,  cherche,  in- 

[vente  ; 
Et  que  l'amie  au  moins  console  ici  l'amante  : 
Engagée  à  Strozzi  dés  mes  plus  jeunes  ans. 
Tu  sais  comment  le  sort  traversa  tous  nos  plans... 
Par  un  décret  banni,  lui  suivit  sa  famille  :' 
Et  moi,  des  Capponi,  l'héritière  et  la  fille, 
Sacrifiée  alors  par  un  père  inhumain. 
Au  marquis  de  Leva,  je  dus  livrer  ma  main. 
Malheureuse  union,  triste  et  sombre  journée, 
Où  comme  une  victime  à  l'autel  entraînée, 
Des  lèvres,  ô  mon  Dieu  !  j'acceptai  pour  époux 
Un  vieillard. ..que  mon  cœur  reniait  devant  vousl... 
Bientôt  je  vis  la  cour,  ambition  funeste, 
Qui  de  tous  mes  malheurs  devait  causer  le  reste. 
Je  parus  chez  ces  grands  qu'au  fond  je  détestais. 
Monde  si  différent  du  monde  oii  je  vivais , 
Et  dans  le  sein  duquel,  veuve  avant  une  année, 
Je  restai  tout-à-coup  perdue,  abandonnée, 
Seule  à  me  préserver  des  embûches  d'autrui, 
D'hommages  entourée,  et  ne  songeant  qu'à  lui! 
A  lui  pauvre  exilé  !  qui,  loin  de  sa  patrie, 
Traînait  une  existence  injustement  flétrie  ; 
Qui,  doublement  puni,  puisque  de  tous  les  siens 
Il  partageait  l'exil,  dépouillé  de  ses  biens, 
Sans  soutien,  sans  appui,  sans  espérance  aucune, 
Plus  grand  que  son  malheur,  défiait  la  fortune, 
Et  n'avait  conservé ,  dans  ces  jours  d'abandon. 
Que  l'amour  d'une  femme,  irrévocable  don  l 

LUCRÉCIA. 

Et  vous  supposeriez  que  d'une  ardeur  si  belle 
Celui  qui  fait  l'objet  vous  piH  être  infidèle  ! 
Que  lorsque  après  cinq  ans  d'épreuves,  de  tour- 

[ment. 
Le  ciel  trop  long-temps  sourd  vous  ramène  un 

[amant, 
Le  perfide  vous  fuit,  à  dessein  vous  élude  ! 
Oh  !  non,  ne  croyez  point  à  tant  d'ingratitude  : 
Cela  ne  se  peut  pas,  mad.nne,  et  si  Strozzi... 
Mais  je  l'excuse  en  vain,  lui-même  le  voici. 


\vw\vvvv\ 


\%\V.V\V\V\>.\VW\\V\l\\\\\ 


Pierre  1 


SCENE  y. 

JUANA,  LUCRÉCIA,  STROZZI 
IDANA,  se  retournant, 

STROZZI. 

Juana  t 


Les  deux  amans  se  pre'cipitent  l'un  vers  l'autre.  Lucre'cia, 
en  came'riste  discrèle,  leur  ménage  un  tétc-à-lt-le  cl  va 
faire  le  guel  à  l'c.\.lrcmilc  de  la  galerie. 

JUANA. 

C'est  toi  que  je  vois,  que  je  touche...» 
Enfin! 

STROZZI. 

Par  quel  bonheur? 

JUANA. 

Oh!  n'ouvre  pas  la  bouche  ! 
Avant  que  de  t'entendre,  avant  que  de  parler, 
Ohl  laisse  mon  regard  ainsi  te  contempler  ! 

STROZZI. 

Juana  ! 

JUANA. 

Qu'ils  furent  longs  les  jours  de  ton  absence! 

Avec  reproche. 

Et  que  tu  me  viens  tard,  toi  d'hier  dans  Florencel 

STROZZI. 

D'hier!  quoi  vous  saviez...? 

JUANA. 

Oui,  par  d'autres  que  toi... 
Par  d'étranges  discours  arrivés  jusqu'à  moi. 
Mais  je  n'en  ai  point  cru  la  honteuse  nouvelle; 
Je  connais  trop  toname...  elle  est  grande,  elle 

[est  belle; 
En  vain  tous  l'affirmaient...  Pierre,  si  j'ai  douté; 
Ah!  c'est  de  ton  amour,  non  de  ta  loyauté,.. 

STROZZI. 

Qui  repondait  de  l'une  à  tort  doutait  de  l'autre  : 
Mon  cœur  n'est  point  changé. .. 

JUANA. 

Vrai? 

STROZZI. 

J'en  appelle  au  vôtre. 
Je  vous  aime,  Juana,  non  plus  comme  au  moment 
Où,  jeune  fille  encor,  vous  eûtes  mon  serment; 
Où  par  ma  noble  mère,  a  ce  serment  présente, 
Je  jurai  de  n'avoir  jamais  une  autre  amante  ; 
Non  plus  comme  une  femme  à  qui  devant  le  cie 
On  se  croit  engagé  par  un  vœu  solennel... 
Vous  êtes  à  mes  yeux  un  culte,  une  croyance. 
Mon  espoir  et  ma  foi...  toute  ma  providence  ! 
Quelque  chose  de  saint,  de  pur  et  de  sacre. 
Qu'on  invoque  à  genoux  comme  un  être  adoré. 
Qu'on  entoure  d'égards,  de  respects,  de  tendresse! 
Car  dans  les  jours  mauvais,  vous  seule  à  ma  dé- 

[tressc, 
Quand  tous  m'abandonnaient,  vous  avez  compatij, 
El,  fidèle  au  malheur,  m;  m'avez  poiuttrnbi! 


14 


MAGASIN  THEATRAL. 


JUANA. 

Mon  Dieu  !  vous  l'entendez  1  oh  !  je  vous  remercie  ! 
Souffrez  qu'à  mon  bonheur  mon  cœur  vous  associe. 
Si,  murmurant  parfois,  j'accusai  vos  rigueurs, 
Soyez  béni  du  moins  quand  vous  séchez  mes  pleurs! 
Pierre,  écoute  :  je  crois  à  cette  ardeur  sincère 
Que  tu  me  peins  si  bien  et  dont  mon  ame  est  fière  I 
Je  ne  m'explique  pointcomment  tes  trois  amis, 
Lorsque  ici  tu  viens  libre,  à  la  mort  sont  promis. 
Je  devine  encor  moins  par  quelle  circonstance 
D'un  ennemi  tu  sus  conquérir  la  clémence... 
Mais,  quelque  obscur  que  soit  ce  bizarre  décret, 
Sans  crainte  à  ton  honneur  j'en  laisse  le  secret. 
Certaine  que  je  suis,  sûre,  avant  toute  chose. 
Que  rien  à  mon  estime  envers  toi  ne  s'oppose. 
De  ta  franchise,  ami,  je  n'attends,  je  ne  veux 
Qu'un  mot...  mais  dis-le-moi? 

STROZZI. 

Si  je  puis. 

jrCANA. 

Tu  le  peux. 
Combien  de  temps  crois-tu  séjourner  à  Florence? 

STROZZI. 

Au  plus  un  jour...  demain  j'en  partirai,  je  pense. 

JDANA. 

Demain?  Eh  bien!  Strozzi,  si  tu  m'aimes  vraiment, 
Le  moment  est  venu  de  le  prouver.. # 

STROZZI. 

Comment? 

JUANA. 

Emmène-moi  d'ici... 

STROZZI. 

Vous,  Juana? 

JUANA. 

Le  temps  presse... 
Sans  retard,  de  ces  lieux  arrache  ta  maîtresse; 
Qu'elle  fuie  avec  toi...  ne  la  refuse  pas... 
Partout,  au  bout  du  monde  elle  suivra  tes  pas, 
Sans  l'adresser  jamais  une  plainte  importune, 
rièrede  partager  ton  sort  et  ta  fortune... 
De  supporter  tes  maux,  d'en  prendre  la  moitié; 
Si  ce  n'est  par  amour,  oh!  fais-le  par  pitié!... 

STROZZI. 

Que  dites-vous,  Juana  ? 

JDANA. 

Qu'ici  je  suis  perdue, 
Si  tu  t'en  vas  sans  moi;  que  ton  départ  me  tue; 
Qu'il  me  faut  à  l'instant  déserter  ce  séjour- 
Leduc...  m'aime  I 

STROZZI. 

Le  duc  !  oh!  trop  infâme  court 
Repaire  de  débauche,  où  de  la  perfidie 
La  trame  à  mon  égard  fut  doublement  ourdie! 
Ce  n'était  point  assez  d'un  ami  déloyal. 
Il  m'y  fallait  encor  rencontrer  un  rival! 
11  vous  aime...  le  duc!  qui  vous  l'a  dit? 

JUANA. 

Lui-même. 

STROZZI. 

Oh!  vous  avez  raison,  le  péril  est  extrême. 
Il  faut  partir,  Juana...  dire  à  Florence  adieu! 
Car  cet  homme  du  crime,  hélas!  s'est  fait  un  jeu. 


Il  ne  respecte  rien,  ni  vertu  ni  justice... 
Malheur  à  la  beauté  qui  fixa  son  caprice. 
Et  qui ,  par  lui  vouée  à  servir  ses  plaisirs. 
Alluma  dans  son  cœur  d'impudiques  désirs  I 
La  mère  en  vain  protège  une  fille  chérie  ; 
Au  souffle  impur  du  monstre  elle  est  bientôt  flétrie, 
A  moins  qu'avant  sa  honte  un  noble  désespoir 
Ne  vienne  en  l'éclairant  lui  dicter  son  devoir. 
Lucrèce,  ô  d'un  tel  nom  courage  héréditaire  t 
Lucrèce  de  Mazzan  à  sa  flamme  adultère 
N'échappa,  pauvre  enfant!  qu'en  se  perçant  le  sein, 
Qu'en  préférant  la  mort  à  cet  autre  Tarquin! 
Louise...  des  Nelli  la  plus  belle  et  l'aînée, 
Finit  par  le  poison  sa  triste  destinée. 
Et  je  balancerais  quand  c'est  à  votre  tour 
De  lutter,  faible  femme,  avec  un  tel  amour  1... 
Non,  Juana.  Par  le  Dieu  qui  tous  deux  nous  écoute. 
Vers  mon  père,  avec  moi,  sous  peu  vous  ferez  route. 

3VAWA. 

Oh!  merci! 

STROZZI. 

Loin  des  cours,  ce  théâtre  maudit, 
Vous  viendrez  habiter  l'asile  d'un  proscrit. 
Mais  avant,jusqu'aubout  de  votrehonncur  jalouse. 
Souffrez  qu'en  vous  prenant  ce  proscrit  vous  épouse.  - 
Le  monde  est  envieux...  plein  deproposméchans... 
Commençons  par  fermer  la  bouche  auxmédisans: 
Qu'une  union  sans  pompe... 

JUANA,    l'itilerrompant,  ' 

On  dirait  que  ton  ame 
Lit  au  fond  de  mon  cœur. 

Elle  lui  tend  la  roaic. 

Strozzi,  voici  ta  femme! 
A  toi  j'étais  déjà...  que  nos  liens,  bénis. 
Soient  approuvés  du  ciel.  Quandserons-nousunis? 

STROZZI. 

Quand? 

*  A  part. 

0  fatal  combat  que  je  ne  puis  remettre  I 

Haut. 

Un  mot  d'écrit... 

LUCRÉciA,  rentrantprêcipitamment. 
Quelqu'un  ! 

A  ce  signalj  les  deux  amans  se  cVisposenl  à  se  séparer,  et 
Juana  va  pour  rentrer  chei  la  Duchesse. 

STROZZI,  reconduisant  sa  maîtresse. 

Un  rendez-vous  par  lettre 
Saura  vous  indiquer  et  le  temps  et  le  lieu 
De  cet  hymen  secret..-. 

JUANA,  avec  prière. 
Oh!  bientôt! 
STROZZI,  lui  baisant  la  main. 

Avant  peu. 

LucTccia  et  Juana  rentrent  cbci  la  DuclicMe. 


LAURENT  DE  JMÉDICIS. 


15 


VV\VViVV\VV\WA.VVVVV*VVilVVVWV\VVVttV\/\V\VV\VWV  -vvvx^w/wvx 

SCENE  VI. 
STROZZI,  seul  m  instant;  SCOROUCOULO. 

STROZZI. 

Avant  peu,  lui  disais-jel 

D'inspiration, 

Oh!  oui,  car  mon  offense, 
Juana,  son  tendre  amour,  tout  aide  à  ma  vengeance. 
Qu'il  vienne,  l'imprudent  que  ce  bras  doit  punir  ! 
Lorsqu'on  est  tant  aimé,  l'on  ne  peut  pas  mourir. 

•Comme  il  achève,  entre  Scoroucoulo,  qui  se  dirige  vers  ia 
portière  qui  conJuit  aux  appartemens  de  la  ducbessc; 
Strozzi  se  retourne;  à  son  aspect  Scoroucoulo  s'arrête. 

SCOROUCOULO,  lamainsur  son  poignard» 
Strozzi  ! 

Il  va  pour  continuer  sa  route. 

STROZZI,  allant  à  lui. 
Mon  brave,  un  mot. 

Ils  avancent  tous  deux  en  scène. 

Quel  est  ici  ton  maitre? 

SCOROUCOULO. 

Personne,  et  tout  le  monde. 

STROZZI. 

Ah!.,,  tu  te  vends? 

SCOROUCOULO. 

Peut-être  ? 
STROZZI,  tirant  sa  bourse. 
Eh  bien!  tiens,  prends  ceci... 

SCOROUCOULO. 

Je  ne  prends  rien  de  toi, .. 
Ton  argent  n'a  pas  cou"... 

STROZZI. 

Tu  plaisantes  ;  pourquoi? 

SCOROUCOULO. 

Parce  qu'au  poids  de  l'or  paîrais-tu  mes  services, 
Je  ne  t'en  rendrais  pas  :  chacun  a  ses  caprices. 

Il  va  pour  s'éloigner. 
STROZZI. 

Tu  t'en  vas  ? 

SCOROUCOULO,  montrant  la  porte  des  appartemens. 
On  m'attend. 

STROZZI. 

Encore  un  mot,  l'ami  : 
Qui  donc  es-tu  ? 

SCOROUCOULO, 

Je  suis  ton  mortel  ennemi! 

STROZZI. 

A  la  bonne  heure  au  moins. . .  Ton  humeur  est  fan- 

[tasque; 
Mais  ici,  dans  ces  lieux,  où  chacun  porte  un  masque, 
Où  chaque  bouche  s'ouvre  à  quelque  trahison. 
Tu  fais  par  la  francliise  honneur  à  la  maison  ! 

f'ï  e  motif  de  ta  haine  à  mon  égard,  mon  brave, 
uei  cst-ii  ? 
SCOROUCOULO. 

Que  t'importe? 

STBOZZI. 

Est-il  juste,  ost-il  -rravc? 


SCOROUCOULO. 

Assez  grave,  entre  nous,  pour  que,  bravant  ton 

[rang. 
Je  t'eusse  offert,  sans  lui,  d'échanger  notre  sang! 

STROZZI, 

Ah  !  mon  rang  te  fit  peur?  Sache  qu'émancipée 
Des  Strozzi  la  noblesse  est  au  bout  d'une  épée. 

SCOROUCOULO,  ironiquement. 
Oui,  quand  à  son  secours,  la  main  sur  le  pom- 

[meau, 
Elle  n'appelle  pas  les  valets  du  bourreau. 

STROZZI. 

Parla,  que  veux-tu  dire,  et  quelle  est  cette  injure? 

SCOROUCOULO. 

Tu  ne  me  remets  pas? 

STROZZI. 

Nullement,  je  te  jure. 

SCOROUCOULO. 

Je  suis  Scoroucoulo. 

STROZZI. 

C'est  un  fort  joli  nom  ; 
Mais  pas  plus  que  tes  traits. 

SCOROUCOULO. 

Il  ne  te  revient? 

STROZZI. 

Non. 
Attends  donc  cependant...  à  Naples  un  chef  de 

[bandes... 

SCOROUCOULO. 

EnQnt 

STROZZI. 

Un  vieux  coquin,  vivant  de  contrebandes, 
Ne  quittant  le  tripot  que  pour  le  grand  chemin. 
D'un  des  miens..,  de  Sténo.,,  jadis  fut  l'assassin. 

SCOROUCOULO,  se  posant. 
Dis  l'adversaire  heureux,  et  tu  reconnais  l'homme. 

STROZZI. 

Comment!  tu  vis  encor  ? 

SCOROUCOULO. 

Oh!  de  mon  dernier  somme 
Déjà  depuis  long-temps  je  dormirais,  je  croi. 
Si  l'on  n'eût  là-dessus  pris  conseil  que  de  toi? 
Pour  un  duel  en  règle  oser  me  faire  pendre! 
Ah  I  par  ton  sang  1 

STROZZI. 

Tiens-tu  tant  à  ic  voir  répandre? 

SCOROUCOULO, 

Sur  ma  part  aux  enfers,  c'est  mon  plus  vif  désir. 

STROZZI. 

Eh  bien  !  je  puis,  l'ami,  te  donner  ce  plaisir. 

SCOROUCOULO, 

Vraiment? 

STROZZI. 

Ecoute  :  ici  j'ai  moi-môme  une  affaire. 
Le  n'est  point,  il  s'en  faut,  un  combat  ordinaire, 
Une  rencontre  à  froid,  où  chaque  champion. 
Sur  une  égralignure.  arrête  l'action  : 
C'est  une  question  jusqu'à  la  fin  suivie, 
Dans  laquelle  il  s'agit  ou  de  mort  ou  de  vie, 
Un  duel  où  l'on  vient  la  haine  dans  le  cœur. 
Et  duquel  on  ne  sort  qu'expirant  ou  vainqueur. 


MAGASIN  THEATRAL. 


16 

Toi,  qui  hantes  la  cour,  tu  n'es  pas  sans  connaître 
Laurent  de  Médicisî 

SCOBOTICODLO. 

Mais  on  s'en  flatte. 

SXROZZI. 

Au  traître, 
Sans  plus  tarder,  remets  de  ma  part  cet  écrit. 

SCOROUCODtO. 

Ah!  bahl  c'est  donc  Laurent? 

STROZZI. 

C'est  de  lui  qu'il  s'agit. 

SCOBOIICOtILO. 

Vous  vous  battez  ensemble? 

STROZZI. 

Ensemble,  et  je  t'invite 
A  nous  venir  aider,  pour  que  chacun  soit  quitte. 
Seul  ici  démon  bord,  d'un  second  j'ai  besoin... 
Je  te  prendrai. 

SCOROTÎCOULO. 

Qui,  moi?  te  servir  de  témoin? 

STROZZI. 

Pourquoi  non?  De  nous  deux  il  faut  que  l'un^uc- 

Si  ie  meurs,  sois  vengé  !...  Si  c'est  Laurent  qui 
*  [tombe, 

Je  t'eng'age  ma  foi,  qu'en  dépit  du  blason 
Reprenant  le  combat,  je  te  rendrai  raison! 
Cela  te  convient-il? 

SCOROCCOCLO. 

Avec  orgueil  j'accepte. 
STROZZI ,  lui  donnant  le  billet. 
Ce  mot  sera  remis? 

SCOROTJCOULO. 

Sans  qu'aucun  l'intercepte. 

Slrozzi  sort. 
w^vx^«^^v^^w^v^^w^v^v^x^^^^^^^^^^^v^vw^vxx^^^w.v«WV 

SCENE  YII. 
SCOROUCOULO,  seul;  puis  LAURENT. 

SCOROUCOCLO. 

Ou  je  me  trompe,  ou  bien  l'homme  qui  sort  d'ici 
Est  un  homme  de  cœur...  De  me  parler  ainsi, 
Bien  t'en  a  pris,  mon  maître  :  en  te  voyant 

La  maiu  suv  son  pulynar,!,  -lu'Ll  a  li.-.i  à  ilcmi. 

Ma  haine 
Saisit  d'abord  ce  fer...  qu'il  rentre  dans  sa  gaine. 
Grâce  à  loi,  sans  un  tiers,  jadis,  j'étais  pendu! 
Tantôt  tu  m'as  volé  le  prix  qui  m'était  dû, 
En  te  livrant  au  duc  avant  moi...  double  dette! 
Mais,  li.ilil  ce  dernier  trait  a  demi  la  rachète  : 
Quel  qnc  soil  envers  toi  tout  mon  ressentiment. 
Tu  viens  à  mon  sujet  d'agir  si  noblement. 
Que  j'aurais  vraiment  tort,   pour  régler  notre 

[  compte, 
D'user  de  trahison...  ce  serait  trop  de  honte  ! 
Lorsqu'on  procède  ainsi,  l'on  ne  peut,  sans  égard, 


A  qui  prend  une  épée  opposer  un  poignard! 

LAURENT,  sortant  des  appartemens  du  duc. 
Eh  !  mais  que   fais-tu  donc  î  je  suis  las  de  t'at- 

[  tendre. 

SCOROCCOTJLO. 

Je  recevais  pour  vous  une  visite  à  rendre. 
Ne  vous  rencontrant  pas,  le  visiteur,  pressé. 
M'a  chargé  de  ce  mot  qu'il  a  pour  vous  laissé. 

Il  donae  à  Laurent  le  billet  de  Slrozzi. 

LAURENT,  Couvrant  rapidement. 
C'est  de  Strozzi? 

SCOROUCOCLO. 

De  lui. 

LAURENT. 

Voyons  ce  que  sa  lettre 
Peut  nous  dire. 

SCOROUCOULO,  s' approchant  avec  curiosité. 
Voyons. 
LAURENT,  l'écartant. 

Si  tu  voulais  permettre; 
Tu  vas  plus  loin,  mon  cher,  qu'il  ne  t'est  accordé. 

Il  lit: 

«  Ce  soir,  minuit  sonnant... 

Avec  une  surprbe  croissante. 

Dans  la  rue  Alcordé, 
»  Maison  delaZecca,  je  vous  attends  sans  faute.  » 

Interrompant  sa  lecture. 

Maison  de  la  Zecca!  Se  peut-il?  Quoi!  cet  hôte 
Par  qui  fut  avant  nous  loué  pour  aujourd'hui 
Le  pavillon  au  nôtre  attenant!  c'est  donc  lui  ! 
Le  singulier  hasard  !  la  bizarre  aventure  I 

Il  reprend  sa  lecture. 

«  Venez;  bien  avant  vous  j'y  serai,  je  le  jure. 
»  Pardon  du  rendez-vous!  je  l'eusse  mieux  choisi, 
«Mais  le  temps  m'a  manqué,  je  pars  demain. 

[SxRozzi.  » 
O  d'un  cœur  vraiment  brave  admirable  noblessel 
Point  de  mots,  nulle  injure!  un  autre  à  sa  maîtresse 
Donnerait  cette  nuit  un  rendez-vous  secret. 
Que  sa  phrase  aussi  simple  ainsi  se  traduirait. 

Comme  frappe  d'une  inspiration  subite. 

Mais  j'y  songe;  en  ce  sens  si  je  faisais  usage 
De  ce  cartel,  peut-être... 

Il  le  parcoort  une  seconde  fois. 

Oh!  oui,  jamais  message 
Ne  vint  plus  à  propos  seconder  mes  projets... 
Point  d'adresse,  de  nom  !  je  réponds  du  succès. 
Scoroucoulo,  dis-moi  ! 

Scoroucoulo  ne  bouge  pas. 

Quoi!  tu  boudes!  approche. 
Et  ne  fais  point  le  Cer  pour  un  léger  reproche. 
Qui  connaît  comme  moi  ton  zèle  officieux, 
Pouvait  te  pardonner  d'être  un  peu  curieux. 
Mais  tu  sais,  je  suis  brusque,  excuse  ma  rudesse. 
As-tu  revu  tantôt  notre  estimable  hôtesse? 

SCOROUCOCLO. 

LaZeccaîjerai  vue. 

LAURENT. 

Elle  consent  toujours 
A  prêter  un  asile  à  mes  folles  amours? 


LAURENT  DE  MEDICIS; 


17 


SCOROUCOULO,  tifant  un  paquet  de  clefs. 
Voici  les  clefs  du  lieu. 

LAURENT. 

C'est  bien  ;  tu  vas  sur  l'heure 
Aller,  ma  bourse  en  main,  mettre  ordre  à  la  de- 
SCOROUCODLO,  recevant  la  bourse,  [meure. 
Âh!  je  suis  de  la  fête! 

LAURENT. 

On  te  fait  cet  honneur. 
En  route  tu  prendras  deux  des  tiens,  gens  de  cœur. 

SCOROUCODLO. 

Bramante  et  Pandolfo  ? 

LAURENT. 

Pandolfo,  soit,  Bramante, 
Va  pourceux-là... du  nom  fort  peu  jeme  tourmente, 
Mais  je  veux  des  gens  sûrs,  actifs,  intelligens, 
Dont  tu  puisses  répondre,  entends-tu  bien? 

SCORODCOULO. 

J'entends. 

LAURENT. 

Puis  vous  munissant  tous  de  quelque  bonne  épéc, 
Quittant  bien  le  fourreau,  solidement  trempée, 
Vous  vous  attablerez  sans  faire  de  façons 
Tête-à-tête  tous  trois  près  de  quelques  flacons, 
Chacun  buvant,  mangeant,  blasphémant  ciel  et 

[terre, 
Mais  gardant  sa  raison  tout  en  vidant  son  verre. 

SCOROUCOULO. 

Cela  n'est  pas  toujours  ais,é. 

LAURENT. 

Facile  ou  non. 
Du  sang-froid  avant  tout,  car  il  m'en  faut,  sinon  , 
A  défaut  de  tes  gens,  on  en  choisira  d'autres. 

SCOROUCOULO,  gravement. 
Maître,  permettez-moi:  mes  jours,  ce  sont  les 

[vôtres; 
Je  vous  l'ai  dit  cent  fois,  je  le  répète  encor, 
Je  feraispour  vous  seul  toutce  qu'au  poidsde  l'or 
Un  autre  vainement  me  supplîrait  de  faire. 
Et  pourtant  vous  savez  si  j'ai  le  nécessaire! 
Je  suis  pour  vous  l'esclave  et  fidèleel  soumis 
Que  ne  vaudra  jamais  le  meilleur  des  amis; 
Je  vais  où  vous  voulez  ;  si  votre  cœur  désire, 
Avant  qu'il  ait  parlé,  dans  vos  yeux  j'ai  su  lire. . . 
Pas  à  pas  je  vous  suis,  toujours,  partout,  si  bien, 
Que  j'ai  moins  l'air  souvent  d'un  homme  que  d'un 

[chien. 
Flattant  ceux  que  mon  maître  avec  plaisir  aborde, 
Et  leur  montrantles  dents  s'il  veut  que  je  les  morde. 

LAURENT. 

Eb  bien,  après? 

SCOROtJCOUlO. 

Eh  bien,  malgré  l'attachement 
D'un  zèle  aveugle  prêt  à  tout  événement; 
Malgré  ce  dévoûment  que  la  reconnaissance 
A  gravé  dans  mon  cœur  et  que  rien  n'y  balance, 
Qui  soumet  à  vos  lois  ma  pensée  et  mon  bras, 
L'une  pour  obéir  et  l'autre  agir,  au  cas 
Qu'un  importun  survienne,  obstruant  votre  route; 
Je  dois  vous  prévenir,  pour  vous  tirer  de  doute. 
Qu'il  est  un  homme  ici  contre  lequel  en  vain 
Pour  un  assassinat  vous  armeriez  ma  main. 

Hésitant. 

Cet  bomipç.^. 


LAURENT,  à  part, 
Est-ce  le  duc? 

SCOROUCOULO. 

De  moi  vous  allez  rire; 
Le  scrupule  est  plaisant...  c'est...  Strozzi. 
LAURENT,  à  part. 

Je  respire! 

Haut. 

Quoi!  ce  même  ennemi  que  ton  ressentiment 
Ce  matin... 

SCOROUCOULO. 

Oh!  toujours  je  le  hais  !  seulement, 
Comme  il  a  fait  un  trait  qui  lui  vaut  mon  estime,^ 
Je  neveux  pas  qu'il  soit  d'un  guet-apens  victimOr 
Vous  vous  battez  tous  deux  ? 

LAURENT. 

C'est  vrai,  qui  te  l'a  dit? 

SCOROUCOULO. 

Quelqu'un  bien  informé...  celui  qui  vous  écrit... 

LAURENT. 

Strozzi  t'a  confié  î 

SCOROUCOULO. 

Mieux  que  cela,  mon  miîtrc. 
Il  m'a  pris  pour  témoin,  et  quand  j'allais  peut-être 
Invoquer  contre  lui  quelque  autre  trahison, 
II  m'a  lui-même  offert  de  me  rendre  raison, 
M'élevant  jusqu'à  lui,  sans  hésiter,  tout  comme 
Si  j'étais,  moi,  bandit,  un  noble  gentilhomme! 

LAURENT. 

Vraiment? 

SCOROUCOULO. 

J'ai  sa  parole...  il  a  la  mienne  aussi... 
Vous  mort,  j  e  vous  remplace. . .  Or,  je  vous  jure  ici 
Que,  dût-il  de  nous  deux  faisant  une  hécatombe, 
Nous  coucher  côte  à  côte  en  une  même  tombe. 
Je  ne  souffrirai  pas  qu'on  lui  manque  de  foi 
Avant  qu'envers  vous  libre,  il  s'acquitte  avec  moi. 

LAURENT. 

Le  serment  est  très-beau  ;  mais  il  est  inutile. 
Jaloux  de  ton  honneur,  sur  le  mien  sois  tranquille. 
Va,  fais  ce  que  j'ai  dit...  de  Strozzi  je  réponds... 
Tu  seras  son  témoin...  tes  amis  mes  seconds... 
Je  le  veux  bien  ainsi...  la  fin  de  cette  affaire. 
Prouvera  si  je  suis  un  loyal  adversaire. 
Tum'asentendu,  pars...  je  vous  joindraibientôt. 
Et  de  l'énigme  alors  tu  comprendras  le  mot. 

SCOROUCOULO. 

Il  suffit... 

Il  va  pour    sortir,   Tout-à-coup    Laurent   le   rappelle. 
Fausse  sortie. 

LAURENT. 

Ahl  dis  moi,  j'oubliais  une  chose. 

A  part. 

Et  pourtant  elle  importe 

Haut. 

Encore  à  notre  cause. 
Contre  un  rude  jouteur,  dans  ses  duels  heureux, 
Un  hasard  imprévu  nous  fait  battre  tous  deux. 
Je  commence...  après  moi,  tu  prends  et  tu  me 

[venges... 
Mais  admettons. . .  l'on  voit  de  ces  chances  étranges, 
Quedcux  fois  coup  sur  coup,  favorisé  du  sort, 


18 


MAGASIN  THEATRAL. 


Notre  ennemi  vainqueur  t'étendc  à  ses  pieds  moTt, 
Qui  donc  nous  vengera? 

SCOROUCOCLO. 

Tiens,  mais,  au  fait,  j'y  pense. 

LAURENT. 

Tu  n'en  sais  rien  ? 

SCOROCCOULO. 

Ni  vous? 

LAURENT. 

Moi,  je  le  sais  d'avance... 
Prends  ce  papier...  du  duc,  tu  vois,  c'estunblanc- 

[  seing. 
Tu  vas,  sortant  d'ici,  le  remplir  de  ta  main, 
M'en  faire  un  ordre  exprès ,  bien  et  dûment  en 

[  forme. 
De  relâcher  ces  gens  contre  qui  l'on  informe, 
Manfredini,  Pazzi,  Belmonte...  ces  amis 
Qu'avant  toi  ce  matin  leur  complice  a  trahis... 
Et  tu  le  porteras...  en  passant,  c'est  ta  route, 
A  la  prison  d'état,  le  guichet  sous  la  voûte. 
Conçois -tu? 

SCOROUCOULO. 

Je  conçois... 

LAURENT. 

Plus  l'ordre  pressera, 
Plus  vite  au  nom  du  duc  on  les  élargira... 

SCOROUCOULO. 

Fort  bien  !  mais  à  quoi  bon?  tous  trois  libres,  en- 

LAURENT.  [suite? 

Quoi  !  tu  ne  comprends  pas  à  quoi  nous  sert  leur 

[fuite? 
Mais  à  nous  assurer  autant  de  successeurs  : 
A  laisser  après  nous  d'implacables  vengeurs, 
Qui,  si  nous  succombons  aujourd'hui  dans  la  lice, 
D'un  traître  dans  Strozzi  feront  bientôt  justice. 
Cela  devient-il  clair  ? 

SCOROUCOULO. 

D'honneur,  c'est  merveilleux  I... 

LAURENT. 

Ta  donc,  et  sache  agir  quand  je  l'ai  dit  je  veux. 

'V\AA'WV\\'WW\V\VWWtVVVWt\VVA'VWVIAVVWV»VW\V^VWVW\aW\ 

SCENE  VIII. 

LAURENT,  seul. 
Ils  sont  sauvés!...  et  nous,  nous  approchons  du 

[terme!... 
Attention,  Laurent,  en  ta  marche  sois  ferme  ; 
Sur  ce  terrain  glissant  ne  fais  point  un  écart! 
Et  toi,  puissant  moteur,  qu'on  nomme  le  hasard. 
Intarissable  source  en  incidens  féconde, 
Abîme  où  l'on  se  perd  du  moment  qu'on  le  sonde. 
Et  qui  n'es  qu'une  fin  des  éternels  décrets, 
Continue  à  servir  jusqu'au  bout  mes  projets. 
Déjà  tout  de  concert,  grûce  à  toi,  me  protège  : 
Dans  ce  mot  de  Strozzi  tu  m'as  fourni  le  piège; 
Achève,  t't  pour  y  prendre  un  coupable  tyran, 
Fais  de  Juana  l'appât  qui  complète  mon  plan... 
Qu'elle  soit  en  mes  mains  l'irrésistible  amorce, 
Qui  m'amène  impuissant  ce  tigre  dans  sa  force. 

II  va  pour  rentrer  cliot  la  Duchesse;  comme  il  est  sur  le 
point  (le  frsDcliir  la  porte,  il  aperçoit  Juana  qui  se  di- 
rige de  (on  c6te. 


Justement  la  voici.  Tâchons,  sans  nous  montrer. 
De  pénétrer  un  cœur  que  l'amour  doit  livrer. 

Il  se  cache  et  écoute. 

W\VW\'V\VW\V\W\'W\'Cv'»\-\AVV\W\VV\VV\'V>AVVVW\AVV\\V\Vt\W\ 

SCENE  IX. 
LAURENT,  JUANA. 

Elle  entre  pensive,  et  va  sans  voir  Laurent,  qui  s'est  mis 
à  l'écart ,  s'appuyer  sur  la  balustrade  du  balcon ,  à 
droite,  donnant  du  palais  sur  la  place. 

JUANA. 

Avantpeu,  ra'a-t-il  dit.. .Oh!  que  triste  est  l'attente! 
Qu'au  sein  de  cette  cour  où  je  figure  absente, 
Sous  les  yeux  de  cet  homme  à  ma  perte  acharné. 
L'heure,  loin  de  Strozzi,  lentement  a  sonné! 

Regardant  sur  la  place. 

Et  rien...  aucun  message...  Il  ne  me  fait  point  dire 
Si  demain...  si  ce  soir...  C'est  donc  bien  long 

[  d'écrire? 
LAURENT ,  qui  s'est  approché  d'elle. 
Beaucoup  moins  que  d'attendre,  en  proie  à  tant 

C  d'ennui, 
N'est-il  pas  vrai,  madame,  une  lettre  de  lui?... 

Il  lui  tend  le  billet. 

JUANA,  avec  surprise. 
Seigneur! 

LAURENT. 

Ne  craignez  rien,  Strozzi  vers  vous  m'envoie 
Lisez  vite,  lisez...  et  gardez  qu'on  vous  voie. 

JUANA,  à  part,  prenant  la  lettre  avec  méfiance. 
Se  peut-il!  Quoi!  Strozzi... 

EUo  l'ouvre. 

Mais  oui,  c'est  bien  sa  main. 

Après  avols  lu. 

0  ciel!  ce  soir...  minuit.  Et  son  départ  demain  I 

Réfléchissant. 

Minuit  rueAlcordé...  seule  à  cette  heure  indue, 
Oserai-je...?  Oh!  j'irai!  malgré  l'heure  et  la  rue... 
Car  vous  savez ,  mon  Dieu  !  pourquoi  ce  rendez- 

[vous, 
Et  c'est  à  vous  d'unir  la  fiancée  à  l'époux  ! 

A  Laurent, 

Seigneur  Laurent,  pardon...  je  ne  suis  qu'une 

(  femme , 
J'aime,  et  l'amour  souvent  rend  crédule... 

LAURENT. 

Madame... 

JUANA. 

Mais  je  sais  qu'autrefois  une  noble  amitié 
Dès  l'enfance  aux  Strozzi  vous  a,  dit-on,  lié  : 
Et,  bien  que  votre  rang  prés  d'une  autre  personne 
Justifie  assez  mal  un  accord  qui  m'étonne... 
D'un  mot  quej'espérais  vous  présentant  porteur, 
Je  ne  puis  d'un  soupçon  entacher  votre  honneur. 
Reverrez -vous  Strozzi? 

XAURENT. 

Madame,  à  son  message 


LAURENT 

Il  voudrait  pour  garant  une  réponse,  un  gage, 
Et  j'ai  dû,  malgré  moi,  tant  les  amans  sont  fousl 
Lui  promettre  en  retour  un  mot  d'écrit  de  vous... 
Ai-je  eu  tort? 

JUANA,  hésitant. 
Mais... 

LAURENT. 

Voyons,  que  vous  coûte  une  ligne  ? 
Acceptez,  dites  oui...  Signez  si  Pierre  signe. 
Seulement,  par  prudence,  en  l'invoquant  tout  bas, 
Iipitez  sa  réserve  et  ne  le  nommez  pas... 

JUANA. 

Vous  l'exigez?... 

LACREM. 

Songez  que  c'est  à  lui  d'attendre  I 

Aces  mots  Juana  ne  balance  plus,  elle  s'approche  de  la 
taLle,  prend  le  papier  et  la  plume  que  lui  présente  Lau- 
rent et  écrit  rapidement  en  dictant  tout  haut  les  lignes 
suivantes  : 

JCANA,  écrivant. 
«  Pour  vous,  rue  Alcordé  je  consens  àmerendre. 
»  A  ce  soir  donc,  minuit...  maison  de  la  Zecca. 
»  Scyez-y  le  premier...  je  vous  joindrai.  Jcana.» 

LAURENT,  à  part. 
Très-bien. 

JUANA,  pliant  le  billet  et  le  lui  donnant. 
Voici,  seigneur...  Aussi,  moi,  je  suis  folle  I 
Mais  vous  avez  promis...  il  faut  tenir  parole... 
Remettez  au  plus  tôt  ce  billet  qu'on  attend, 
Et  croyez  que  jamais  un  service  si  grand... 
LAURENT,  l'interrompant  et  lui  montrant  le  Duc 

qui  paraît. 
Le  duc  ! 

A  part. 

n  était  temps  ! 

JUANA. 

Ohî  devant  lui,  silence! 

LAURENT. 

Éloignez-vous  sans  crainte... 

Juana  sort;  en  passant  devant  le  Duc,  elle  s'incline  ;  ce- 
lui-ci lui  rend  son  salut,  et,  les  yeux,  fixe's  sur  elle,  la 
suit  jusqu'au  bout  de  la  galerie.  Pendant  ce  temps, 
Laurent,  agitant  le  billet  de  Juana,s'e'crie  en  menaçant 
le  Duc  : 

Et  toi,  ma  proie,  avance  ! 
Et  viens  tète  baissée,  ici,  mordre  à  ton  tour. 

Comme  il  achève,  le  Duc  se  retourne,  et  se  dirige  rapide- 
ment vers  lui. 

*\\W\\'V\'VWWVVV\\'V\VVWV\*VVVIAWV\WW\W\\VVVWV\V\\\AW\ 

SCENE  X. 
LAURENT,  LE  DUC. 

LE  DUC. 

Tu  parlais  à  Juana,  Laurent...  de  mon  amour? 

LAURENT. 

Et  quel  autre  entretien  pouvais-je  avoir,  altesse? 

LE   DUC. 

Eh  bien!  que  répondait  l'aimable  enchanteresse  ? 


DE  MÉUICIS.  19 

I    Toujours  se  retranchant  derrière  sa  vertu, 
j    Toujours  mêmes  dédains  !... 

i  LAURENT. 

Non  pas,  duc... 

LE   DUC. 

Que  dis-tu? 

LAURENT. 

Je  dis  qu'à  porter  fruit  mon  système  commence. 
Que  bien  nous  en  a  pris  d'essayer  la  clémence... 

LE  DUC. 

Tu  crois? 

LAURENT. 

J'en  suis  certain... 

LE    DUC. 

Mais,  bravant  mon  courroux, 
Pourquoi' tantôt  alors,  à  mes  regards  jaloux, 
Signer,  après  Strozzi ,  cet  acte  téméraire? 

LAURENT. 

Pourquoi?  Coquetterie  afin  de  mieux  VOUS  plaire... 
Manège  féminin,  simple  désir  de  voir 
Jusqu'où  de  la  beauté  peut  aller  le  pouvoir... 

LE  DUC,  avec  un  soupir. 
Il  va  souvent  plus  loin  qu'on  ne  le  veut  soi-même! 

LAURENT. 

De  posséder  Juana,  votre  envie  est  extrême? 

LE  DUC. 

Extrême...  tu  comprends...  l'amour-propre  pi- 

[  que... 

LAURENT. 

Soyez  heureux  ! 

LE  DUC. 

Comment? 

LAURENT. 

Cette  nuit,  seul,  masqué, 
On  consentpar  mes  soins  à  vous  voir. .. 

LE  DUC. 

Où?  chez  elle? 

LAURENT. 

Non;  dans  un  lieu  plus  sûr  que  j'ai  dit  à  la  belle. 
Mais  il  faut  du  mystère...  et  c'est  l'amant  discret 
Qu'on  reçoit,  non  le  duc... 

LE  DUC. 

Eh  bien  !  l'amantest  prêt... 
Parle  ;  que  veut  Juana  ? 

LAURENT. 

Que  votre  altesse  aborde 
Sans  suite  par  l'Arno...  qu'une  échelle  de  corde 
Là,  dans  l'ombre,  et  sans  bruit,  vous  guide  à  ses 

[genoux... 

LE  DUC. 

Quoi!  Laurent,  à  ce  prix...? 

LAURENT. 

Lisez,  elle  est  à  vous  ! 

Il  remet  au  duc  le  billet  dcril  par  Juana   pour  Strozti< 
Pendant  que  celui-ci  le  parcourt,  la  toile  tombe. 


20 


MAGASIN  THEATRAL. 


%VV\V\*VVVVWW*V**VV*V\\VV»AA^VVlVVVVVtVV\AVlAVVVVVi»/Vl/VV»VVVVVVVVVVVVVMpVVVVVVVVV>^ 


ACTE  TROISIEME. 


La  maison  cle  la  Zecca.  Intérieur  de  maison  du  peuple.  Quelques  vieux  meubles  délabrés;  au  fond,  une  fenêtre  donnant 
sur  l'Arno.  A  droite  de  l'acteur,  deux  portes:  l'une  avec  un  couloir  obscur  par  lecpiel  on  monte  à  l'étage  supe'ricur; 
l'autre  ouvrant  sur  une  autre  petite  pièce  sans  issue,  prise  dans  l'e'paisseur  du  mur.  A  gauche,  la  sortie  principale 
qui  mène  au  rez-de-cliausse'e  par  un  escalier  tournant,  et  par  laquelle  on  est  censé'  communiquer  en  ouvrant  en  bas 
un  passage  secret  au  pavillon  mentionné  dans  le  premier  acte  et  retenu  par  Strozzi. 


SCENE  PREMIERE. 
PANDOLFO,  BRAMANTE. 

Au  lever  du  rideau,  il  fait  uuit.  La  pièce  est  faiblement 
éclairée  par  deux  lampes.  Sur  une  mauvaise  table  en 
bois  sont  étalés  tous  les  accessoires  d'une  orgie.  Pan- 
dolfo  et  Bramante  assis  vis-à-vis  l'un  de  l'autre  ,  le 
verre  et  les  dés  à  la  main,  partagent  leur  soirée  entre  le 
jeu  et  de  copieuses  libations. 

BRAMANTE,  qui  vient  de  jouer,  ramassant  les  dés 

avec  humeur. 
Que  l'ame  de  ton  père  aux  enfers  soit  en  peine  ! 
C'est  un  guignon  constant... 

PANDOLFO. 

Ah  !  tu  n'es  pas  en  veine. 

BRAMANTE. 

Cela  fait? 

PANDOLFO. 

Cinq  ducats,  ni  plus  ni  moins... 

BRAMANTE. 

D'un  coup 
Veux-tu  me  les  jouer?  Dix  ou  rien  t 

PANDOLFO. 

C'est  beaucoup. 

BRAMANTE. 

Bah!  Tiens  donc... 

PANDOLFO. 

Non;  c'est  trop;  quand  le  sort  est  rebelle, 
A  quoi  bon  s'entêter  î...  mon  argent? 

BltAMANTE. 

Ohl  la  belle? 

PANDOLFO. 

Tu  le  veux  ? 

BRAMANTE. 

MaJsjeperds... 

PANDOLFO. 

Toujours  au  plus  haut  point? 

BRAMANTE. 

Toujours... 

I>.\NDOLFO. 

Tes  <lix  durais? 

BRAMANTE. 

Sont  la  dans  mon  pourpoint... 

PANDOLFO. 

JclaîR..  mais  si  je  gagne... 

BRAMANTE.  «. 

Eh  bien  ? 

PANDOLFO. 

ÎV)inl  de  revaî'flic. 

BUAMANTE. 

Ç.T  va. 


PANDOLFO,  jetant  ses  dés. 
Neuf! 
BRAMANTE,  jetant  les  siens  à  son  tour. 
Neuf  aussi! 

PANDOLFO. 

Nous  sommes  manche  à  manche. 
A  refaire. 

Il  jette  ses  dés  une  seconde  fois. 

BRAMANTE,  avec  dépit  à  la  vue  du  point  qu'il  a 
amené. 
Encor  dix?  le  bonheur  insolent! 
Sans  cesse  dix  ou  neuf! 

A  part. 

Il  y  met  du  talent... 

PANDOLFO. 

Que  dis-tu? 

BRAMANTE. 

Mais  je  dis,  en  thèse  générale, 
Que  la  partie  au  jeu  comme  ailleurs  n'est  égale 
Qu'autant  qu'on  tient  en  mains  mêmes  armes  tous 

[deux. 
Mes  dés  ne  valent  rien. . .  les  tiens  sont  plus  chan  - 

[ceux. 
Changeons  un  coup. 

PANDOLFO,  la  main  sur  les  dés. 
Du  tout... 

BRAMANTE. 

Ton  refus  est  étrange... 

PANDOLFO. 

A  quoi  bon  ? 

BRAMANTE. 

Tu  fais  bien...  tu  perdrais  trop  au  change. 

PANDOLFO. 

Que  veut  dire  ceci  ? 

BRAMANTE. 

Qu'à  ton  nom  correspond 
Un  autre  nom,  mon  cher... 

PANDOLFO. 

Hein? 

BRAMANTE. 

Celui  de  fripon  I 

PANDOLFO. 

Fripon!  moi,  Pandolfo? 

BRAMANTE. 

Tes  dés  sont  pipés,  traître! 

Et  mon  argent  volé. ..  mais  j'en  suis  encor  maître  ; 
El  si  lu  l'as  jamais... 

PANDOLFO,  lirmii  son  poi<jnard, 

IJraiiKuite,  cinq  ducats? 


LAURENT  DE  MEDICIS. 


21 


Tu  me  les  dois... 

BRAMANTE. 

Vraiment? 

Il  se  lève,  et  lire  aussi  son  poignard. 

Viens  les  prendre,  en  ce  cas. 
Viens ,  que  je  voie  un  peu ,  mon  vertueux  Silène, 
Combien  de  vin  contient  ton  énorme  bedaine... 

PANDOLFO. 

Âh  I  tu  m'oses  braverl 

Il  quitte  sa  place  furieux,  et  s'avance  le  poignard  levé  sur 
Bramante, qui  paraît  l'attendre  de  pied  ferme.  Au  mo- 
ment où  ils  vont  se  battre,  parait  Scoroucoulo. 

fVVlVWVVVV1fWVVWV\'VV\VWW\VW\\^VWW\W\VV\VVVtWVV\VWVW 

SCENE  II. 

PANDOLFO,  BRAMANTE,  SCOROUCOULO, 

SCOROUCOULO,  de  la  porte,  deux  énormes  rapières 
sous  le  bras. 

Tout  beau,  mes  champions! 
Est-ce  ainsi  qu'on  se  range  à  mes  instructions? 
Rengainez,  s'il  vous  plaît,  ou  le  premier  quibouge, 
Qui  fait  un  pas,  vivant  ne  sort  pas  de  ce  bouge. 

Bramante  et  Pandolfo  interdits  rengainent  leurs  poi- 
gnards.Scoroucoulo  ferme  la  porte  à  clef,  et  va  de'poser 
ses  deux  e'pe'cs  sur  la  table. 

SCOROUCOULO,  à  la  vue  des  pots  vides. 
Diantre!  je  ne  suis  plus  surpris  de  tant  d'ardeur. 
Mes  gaillards  à  Bacchus  ont  si  bien  fait  honneur, 
Que  n'ayant  plus  de  quoi  calmer  leur  soif  brû- 

[lante, 
Il  leur  fallait  du  sang. . .  Approche  ici,  Bramante . . . 
Toi,  viens  là,  Pandolfo... 

Tous  deux  sur  cette  injoaction  viennent,  en  chiens  har- 
gneux, se  ranger  près  d«  lai,  l'un  à  droite,  l'autre  'a 
gauche. 

Je  ne  suis  pas  content. 
Je  vous  l'ai  déjà  dit  :  un  motif  important 
A  voulu  qu'en  ces  lieux  tous  deux  je  vous  ras- 

[semble. 
Nous  avons  à  l'avance  arrêté  prix  ensemble... 
Pour  six  ducats  chacun,  vous  vous  êtes  vendus. 

BRAMANTE. 

C'est  pas  cher... 

SCOROUCOULO. 

Bah!  vraiment,  quand  vous  seriez  pendus, 
Je  vous  demande  un  peu,  porteurs  de  telles  faces, 
Si  ce  n'est  point  payer  vos  deux  laides  grimaces... 
Mais  laissons  ce  chapitre...  ou  cher,  ou  bon  mar- 

[ché. 
Ce  fut  là  votre  prix,  et  vous  l'avez  touché... 
Donc,  vous  m'appartenez  pour  cette  nuit,  mes 

[braves; 
Donc,  de  mes  volontés  vous  êtes  les  esclaves, 
A  m'obéir  en  tout  prêts  au  moindre  signal, 
Sans  demander  pourquoi,  ni  si  c'estbienoumal... 
Car  du  pacte  entre  nous  telle  est  la  clause  ex- 

[presse. 
Cela  n'est-il  pas  vrai  ? 

BRAMANTE. 

C'est  vrai... 

PANDOLFO. 

Je  le  confesse... 


SCOROUCOULO. 

Et  d'où  vient  donc  alors,  vous  êtes  bien  osés! 
Qu'ici  sans  mon  aveu  de  vous  vous  disposez  ? 
Depuis  quand  a-t-on  vu  qu'entre  eux  les  loups  se 

[mangent? 
A  vos  côtés,  mes  fils,  vos  dagues  vous  démangent? 
Patience...  sur  vous  au  lieu  de  travailler. 
Attendez  la  besogne,  on  va  vous  en  tailler... 
Si  mes  prévisions  ne  se  sont  point  trompées, 
Vous  serez  satisfaits...  Vous  voyez  ces  épées... 

Prenant  l'une  et  la  donnant  à  Bramante. 

L'une  est  pour  toi.  Bramante. 

Donnant  l'autre  à  Pandolfo. 

Et  l'autre,  sans  fourreau, 
Te  revient  de  plein  droit,  mon  Hercule  tonneau. 
A  dégainer,  tu  sais,  tu  n'es  pas  toujours  leste  ; 
Ainsi, flamberge  auvent,  tu  deviendras  pluspreste. 
Maintenant,  de  côté  tout  sentiment  haineux... 
La  main  chacun... 

PANDOLFO,  se  révoltant. 
Qui?  moi? 

SCOROUCOULO. 

Pandolfo,  je  le  veux. 

PANDOLFO. 

Mes  cinq  ducats,  d'abord  ? 

SCOROUCOULO. 

Comment!  telle  est  la  source... 
PANDOLFO,  vivement. 
Il  m'a  volé. 

BRAMANTE ,  de  même. 
C'est  lui. 

SCOROUCOULO. 

Silence  !  De  ma  bourse. 
Tiens,  voici  ton  argent... 

Il  tire  la  hoursc  que  lui  a  ri'iiiisu  I.;uu'ent  à  raiilio  acte, 
et  en  liii.  cinq  ducats  qu'il  donne  à  Pandolfo. 

Es-tu  content? 

PANDOLFO. 

C'est  bien! 
BRAMANTE,  inurmurant  tout  bas. 
Bon,  le  fripon  a  tout...  l'honnèle  homme  n'a  rien. 

SCOROUCOULO,  clicrchant  cinq  autres  ducats. 
Autant  pour  toi.  Bramante. 

BRAMANTE ,  avec  joie. 

Ah! 
SCOROUCOULO,  à  part. 

Ce  n'est  pas  la  peine 
De  faire  un  jaloux. 

Haut,  lui  tendant  l'argent. 

Tiens... 

BRAMANTE. 

Merci,  mon  capitaine  ! 

SCOROUCOULO. 

Je  pense  qu'à  ce  prix  nous  voilà  tous  d'accord. 
Que  l'on  ne  s'en  veut  plus? 
BRAMANTE,  Icnd  latnain  à  Pandolfo, qui  l'accepte. 
Non,  chacun  avait  tort. 

SCOROUCOULO. 

En  ce  cas,  enlevez  tous  ces  restans  d'orgie, 
Ilaogez-moi  cette  table  aussi  de  vin  rougie». 


22 


MAGASIN  THEATRAL. 


Ouvrez  cette  fenêtre  et  renouvelez  l'air; 

Il  fait  trop  chaud  ici  ;  c'est  un  four,  un  enfer. 

Sans  doute,  il  faut  du  feu,  mais  pas  un  feu  de 

[  forge. 
*  Et  puis,  ça  sent  mauvais...  l'ail  vous  prend  à  la 

[gorge. 
Quand  on  attend  quelqu'un,  sans  être  des  gour- 

[mets, 
On  a  du  savoir  vivre...  on  choisit  mieux  ses  mets. 

En  un  instant  tout  est  remis  en  ordre.  Le  feft  est  amorti, 
la  table  rangée  et  les  deTiris  du  souper  enlevés. 

Bien  !  à  présent,  montez  au-dessus,  faire  un  somme, 
vos  armes  près  de  vous...  surtout,  je  vous  en 

[somme. 
Point  de  nouveaux  débats,  ni  querelle,  ni  bruit. 

Bramante  passe  le  premier. 

PiJCDOLFO,  avant  de  le  suivre, 
Y  voit-on  î 

sràMANTE  ,  du  fond  de  la  coulisse. 
Pas  trop  clair. 
SCOROUCOCLO,  poussant  Pandolfo  par  les  épaules. 
Là-haut,  la  lune  luit. 

Il  referme  la   porte  sur  eux  et  donne  un   tour  de  clef  ;  à 
peine  a-t-ilfîni,  qu'on  frappe  à  la  porte  d'entrée. 

On  y  va. 

Avant  d'ouvrir. 

C'est  vous,  maître? 

VOIX,  du  dehors. 
Ouvre. 

Entre  Laurent. 

W\%(VWVWiV\.\WW\'VVVVVVt'VVVVVWV\A\'Vtv'VWV\W\VWVVVWVWW\/ 

SCENE  m. 

SCOROUCOULO,  LAURENT. 

LACREKT,  enveloppé  dans  son  manteau. 

Le  ciel  confonde 
L'hôtesse  et  le  logis,  toi-même  et  tout  ton  monde  I 
Perds-tu  l'esprit,  dis-moi? 

SCOROUCOULO. 

Comment  donc? 

LAURENT. 

Es-tu  fou? 

Montrant  l'entrée. 

Quoi  !  ne  point  éclairer  un  si  noir  casse-cou  I 
Que  tes  pareils,  mon  cher,  y  grimpent  sans  lu- 

[  micre, 
Je  conçois...  l'ours  la  nuit  retrouve  sa  tanière. 
Et  vous  autres  bandits,  argus  de  carrefour. 
Vous  y  voyez  dans  l'ombre  encor  mieux  qu'en  plein 

[jour. 
Mais  des  ténèbres,  moi,  j'ai  fort  peu  l'habitude; 
Et  peu  s'en  est  fallu,  tant  l'escalier  est  rude, 
Avec  sa  rampe  en  corde  et  ses  degrés  à  pic, 
Que  je  n'aie  en  tombant,  fait  un  sot  pronostic. 

Munlranl  une  lampe  à  Scoroucouli). 

Vite,  une  lampe  en  bas...  va... 

SCOROUCOULO. 

Puurla  compagnie, 
Une  seule  sufCt. 


LAURENT. 

C'est  sans  cérémonie. 
Mets-la  le  long  du  mur,  au  tournant  du  palier, 
De  façon  qu'en  entrant  on  trouve  l'escalier. 

Scoroucoulo  sort  emportant  une  des  deux  lampes.  Pen- 
dant ce  temps,  Laurent  se  débarrasse  de  son  manteau,  et 
jette  dans  un  coin  une  échelle  de  corde  qu'en  dessous  il 
tenait  cachée. 

VVWV\\V\/V\W1«VV%VVVVWVV\w\vv\VW\A<VW\v-VWVtW\VX\;VVVWVVV 

SCENE  IV. 
LAURENT,  seul. 

Enfin,  m'y  voilà  donc!...  c'est  là,  sur  ce  théâtre, 
Que  tu  vas  triompher,  mon  zèle  opiniâtre! 
0  moment  que  mes  vœux  ont  tant  sollicité, 
Heure  de  la  vengeance  et  de  la  liberté, 
Encore  cette  nuit...  et  Florence  peut-être. 
Veuve  de  son  tyran,  aux  beaux  jours  va  renaître. 
Jadis,  lorsque  Brutus  de  sa  vaillante  main 
Consentit  à  frapper  l'usurpateur  romain, 
II  dut,  quand  vint  le  jour  de  cet  acte  suprême. 
Regarder  en  arrière  et  douter  de  lui-même... 
Car  dans  Julius  Cœsar,  de  l'univers  vainqueur. 
Sous  la  pourpre  du  moins  battait  un  noble  cœur. 
De  généreux  lauriers,  cueillis  au  Capitule, 
Il  marchait  le  front  ceint  comme  d'une  auréole... 
Après  vingt  ans  de  guerre,  heureux  de  son  repos. 
Le  peuple  enfin  l'aimait,  c'était  là  son  héros  ; 
Et  tel  fut  envers  lui  l'aveuglement  de  Rome, 
Que,  mort,  on  le  pleura  comme  on  pleure  un  grand 

[homme. 
Mais  toi,  des  Médicis  l'opprobre,  6  duc  bâtard  ! 
Quel  remords  de  ton  sein  écarte  le  poignard? 
As-tu  quelques  vertus  qui  rachètent  tes  vices? 
Débauche,  exactions,  cruautés  et  supplices. 
Voilà  les  seuls  soutiens  de  ton  sceptre  de  fer. 
Rongeant  Florence  au  cœur,  comme  un  affreux 

[cancer. 
Chaque  jour,  sans  pitié,  sans  que  son  cri  t'effraie. 
Tu  la  dévores,  monstre!  agrandissant  sa  plaie  ! 
Meurs  donc...  mcuis...  que  ce  lieu  soit  ton  digne 

[tombeau. 
Le  juge  est  prêt...  t'attend... 

Montrant  Scoruucuulo  qui  rentre. 

Et  voici  le  bourreau  ! 

VVWVVVVVV\WVV\VVVVVWW^WVVW\VV\'\\\\'VVViVV»VV%VV\W\VV\VV 

SCENE  V. 
LAURENT,  SCOROUCOULO. 

LAURENT. 

Scoroucoulo  ? 

SCOROUCOULO. 

Seigneur? 

LAURENT. 

OÙ  sont  donc  tes  deux  hommes? 

SCOROUCOULO. 

Là-haut...  couchés... 

LAURENT. 

C'est  bien.  Au  point  où  nous  en  sommes^ 
Je  dois  sans  cul  détour  m'cxpliquer  avec  toi.» 


LAURENT  DE  MEDICIS. 


23 


Je  vais  le  faire...  avant  cependant,  montre-moi, 
Toi,  qui  sais  le  local,  comment-il  se  comporte. 
Faisons  rapidement... 

Désignant  la  première  porte  au  fond  à  droite. 

OÙ  mène  cette  porte? 

SCOROUCOCLO. 

A  l'étage  au-dessus,  par  ce  couloir  obscur. 

LAURENT. 

A  gauche,  à  droite,  au  fond,  qui  le  ferme? 

SCORODCOCLO. 

Le  mur. 
L'escalier  prend  au  bout, 

LAURKIHT,  montrant  la  deuxième  porte. 
Ceci? 

Scoroucoulo  l'ouvre. 
SCOROUCOULO. 

C'est  une  pièce 
Sans  issue  et  sans  jour. 

A  mi-voix. 

Vrai  boudoir  de  Lucrèce. 

LAURENT. 

Ahl  grâce  des  détails. 

Allant  vers  la  porte  d'entre'e. 

Tout-à-l'heure,  à  tâton, 
Quand  j'allais  affrontant  cet  antre  de  Pluton, 
En  bas,  j'ai  sous  ma  main  senti  fuir  la  muraille. 
Et  mon  pied  d'une  marche  a  reconnu  l'entaille... 
Quel  est  ce  vide  ? 

SCOROUCOULO. 

C'est  le  passage  voûté 
Qui  mène  au  pavillon  avant  nous  arrêté. .. 
Vous  savez... 

LAURENT. 

Oui,  je  sais... d'un  seul  côté,  du  nôtre, 
La  porte  ouvre,  je  crois? 

SCOROUCOULO. 

Vous  l'avez  dit:  de  l'autre. 
Impossible  d'entrer... 

LAURENT. 

Bon,  cela  me  suffit. 
Péfie  à  présent  mes  mots,  et  fais-en  ton  proGt. 

SCOROUCOULO. 

Parlez;  j'ouvre  l'oreille,  et  suis  tout  à  vous,  maître. 

LAURENT,  l'amenant  ■près  de  la  fenêtre. 
Au-dessus  de  l'Arno,  tu  vois  cette  fenêtre; 
D'ici,  jusqu'au  niveau  de  ce  quartier  de  roc. 
Contre  lequel  de  l'eau  vient  s'amortir  le  choc, 
|Que  comptes-tu  de  pieds? 

SCOROUCOULO. 

Oh!  la  distance  est  bonne! 
Quarante  pour  le  moins...  Malheur  à  la  personne 
Qui  voudrait  essayer  d'un  saut  si  périlleux  : 
Je  réponds,  à  coup  sûr,  qu'on  n'en  ferait  pas  deux. 

LAURENT,   à  part. 

Nul  moyen  de  salut. . .  quoi  qu'il  tente  et  qu'il  fasse, 
S'il  entre,  il  est  perdu! 

Haut  à  Scoroucoulo, 

Sur  l'autre  rive,  en  face., 
En  amont  du  jardin  Pitti,  regarde  bien... 

SCOROUCOULO,  s'orientant. 
J'y  suis. 


LAURENT. 

Au  long  des  murs,  ne  distingues-tu  rien? 

SCOROUCOULO. 

Pardon.  J'aperçois  là  briller  une  lumière... 
On  dirait  une  barque  amarrée  en  rivière. 
Quelque  pêcheur  sans  doute. ..  ah  !  oui ,  car  loin  du 

[port... 
Tenez,  voilà  l'esquif  qui  va  virer  de  bord. 
LAURENT,  avec  une  joie  farouche. 
Il  vient? 

Il  regarde  par  la  croise'e. 

Oui,  c'en  est  fait,  sous  sa  mauvaise  étoile, 
Par  l'enfer  inspiré,  le  voilà  qui  fait  voile! 

Prenant  Fcchelle  de  corde. 

Avec  moi,  vite  à  l'œuvre...  à  ces  barreaux  de  fer 
Accroche  cette  échelle. 

SCOROUCOULO,  tout  en  Vaidant. 

Eh  I  mais,  par  Lucifer, 
De  quoi  donc  s'agit-il?  par  cette  étrange  voie 
Vous  attendez  quelqu'un,  maître? 

LAURENT. 

J'attends  ma  proie  ! 

Prenant  Scoroucoulo  à  l'e'cart. 

Écoute  :  mainte  fois  tu  m'as  dit  que  ton  bras, 
Ton  sang  m'appartenaient... 

SCOROUCOULO. 

Je  n'en  disconviens  pas. 

LAURENT. 

Qu'un  dévoûment  aveugle  et  que  rien  ne  balance 
Me  répondait  de  toi  dans  toute  circonstance? 

SCOROUCOULO. 

Je  l'ai  dit. 

LAURENT. 

Eh  bien,  donc,  puisque  tu  t'en  souviens. 
Prodigue  de  sermens,  voyons  si  tu  les  tiens. 

Il  le  ramène  à  la  fenêtre. 

Au  pied  de  ces  brisans,  dans  l'instant  cette  barque 
Va  venir  aborder...  un  seul  homme  débarque. 
Un  seul  !  et  l'imprudent  auquel  par  ce  chemin 
J'ai  dit  de  prendre,  afin  qu'une  fois  sous  ma  main, 
Sa  trace  à  tous  les  yeux  disparût  comme  celle 
Qu'imprime  au  sein  des  eaux  cette  frêle  nacelle; 
Sur  un  simple  signal... 

Montrant  un  hucbet  pendu  à  sa  ceinture. 

Par  ce  cor  reconnu. 
Monte  aussitôt  vers  nous.  C'est  ainsi  convenu. 
Tandis  que  je  l'accueille  avec  assez  d'aisance 
Pour  du  moindre  danger  ôter  toute  apparence... 
Toi  cependant,  caché  dans  ce  couloir  obscur, 
Tu  te  places  sans  bruit,  debout  contre  le  mur. 
Tes  bravi  près  de  toi,  chacun  droit  comme  un  terme, 
Tenant  son  glaive  nu  d'une  main  sûre  et  ferme. 
J'ignore  ce  que  peut  durer  notre  entretien  , 
S'il  sera  long  ou  court,  car  cet  homme  est  chrétien, 
Et  bien  qu'il  ait  vécu  comme  un  païen  infâme. 
Je  dois  lui  dire  :  A.  Dieu  recommande  ton  ame  I 
Mais,  quelque  temps  qu'il  dure,  et  quelque  évé- 

[nement. 
Qui  vienne  à  la  traverse  en  ce  fatal  moment. 
Vous  ne  bougerez  point,  ni  les  uns  ni  les  autres. 
Que  ma  voix  n'ait  cric  :  Florence  !  à  moi  les  nôtrôSÎ 
A  ce  signal  alors  tous  trois  vous  agirez. 


S4 


MAGASIN  THEATRAL. 


Et  sans  pitié,  sans  crainte,  au  coeur  vous  frapperez  ! 

SCOROCCOULO. 

Nous  frapperons,  seigneur...  à  moins,  il  faut  s'en- 
Que  ce  ne  soit  Strozzi.  [tendre, 

LADRENT. 

C'est  le  duc  Alexandre  I 
SCOROCCOULO,  avec  terreur. 
Le  duc! 

LAURENT. 

Eh  quoi!  vas-tu,  par  hasard,  dire  non? 
Tu  trembles,  tu  pâlis  en  présence  d'un  nom? 
Insensé!  sache  donc  que  du  trépas  du  traître 
Dépend  en  ce  moment  tout  ton  salut  peut-être... 
L'écrou  par  toi  levé,  l'ordre  écrit  de  ta  main:.. 
Le  duc  sait  tout!  s'il  vit,  toi,  l'on  tependdemaini 

SCOROUCOULO. 

Il  se  peut? 

tAURENT. 

Les  archers  au  seuil  de  ta  demeure 
Déjà  sont  embusqués. 

SCOROUCODLO. 

Eh  bien  !  que  le  duc  meure  1 
Le  sort  en  est  jeté. 
LAURENT,  se  penchant  en  dehors  de  la  croisée. 

Silence!  les  voici. 
Va,  retiens  le  signal...  moi,  mon  poste  est  ici. 

Scoroucoulo  s'engage  clans  le  couloir.  A  peine  a-t-il  dis- 
paru, qu'on  cntcud  au  pied  des  rochers  un  appel  sur  le 
cor.  Laurent  prend  son  liucliet  et  le  re'pète.  Moment  de 
silence.  La  main  sur  l'e'clielle. 

II  monte  ! 

Faisant  le  geste  d«  dctaclier  l'c'cliclIe. 

Oh!  que  nepuis-je  au  milieu  de  l'abîme... 
Hais  non!... 

Regardant  en  Las  le  Duc  qui  grimpe. 

Sur  l'échafaud  ainsi  monte  le  crime  : 
Laissons-le  donc  gravir,  le  chemin  n'est  pas  long, 
Et  tendons-lui  la  main  au  dernier  échelon  ! 

  CCS  mois,  le  Duc  paraît  à  la  fenêtre. 

V\VVVVVVVVVVWVWVV\VWWVW\VV\VV\(VV\WVVWIWVWVVIVWVVVW 

SCENE  VI. 

LAURENT,  LE  DUC,  enveloppe  d'un  manteau, 
un  masque  à  la  main. 


Le  pied  là,  duc. 


LAURENT. 


LE  DUC. 


Ici? 

LAURENT. 

Non,  plus  loin. 

LE  DUC 

Sur  la  pierre? 

LAURENT. 

Vous  y  voilà,  très-bien! 

Donnant  la  main  au  Duc, 

Maintenant,  pied  à  terre  t 

Le  Duc  tautc  et  arrive  en  scèoc  avec  Laurent. 
LE  DUC. 

Ouf!quclmdiierstupidectsaugrenu,  moucher, 
De  se  hisser  ainsi  trente  bons  pieds  en  l'air, 
^Blïo  U  ciel  et  l'eau,  comme,  dans  la  tempôte, 


Grimpe  au  mât  le  marin!...  un  vertige  à  la  tête, 
Et  c'en  est  fait  de  vous. ..Au  diable  tant  de  soins! 
Venir  au  rendez-vous,  seul,  masqué,  sans  témoins. 
En  héros  d'aventure  à  la  vénitienne, 
Par  la  fenêtre  entrer. . .  oh  !  c'est  par  trop  de  peinel 
Et  de  par  mon  duché,  c'est  la  première  fois 
Que  l'amour  exigeant  me  fit  si  rudes  lois. 

LAURENT. 

Qu'importe  si,  prodigue  envers  vous  de  tendresse. 
Des  obstacles  ce  dieu  tient  compte  à  votre  altesse? 
Vous  savez,  duc,  souvent  c'est  au  bout  du  chemin 
Qu'après  un  long  voyage  on  se  repose  enfin... 
Vous  êtes  dans  ces  lieux  au  terme  de  la  route. 
Et  vous  n'en  sortirez  que  bien  payé  sans  doute. 

LE  DUC 

Tu  crois... 

Faisant  quelques  pas. 

Encor  personne? 

LAURENT. 

Oh  1  non,  c'est  pour  minuit. 
L'on  n'est  pas  en  retard. 

LE  DUC. 

Quel  ignoble  réduit! 

LAURENT. 

Vous  trouvez?... 

LE  DUC. 

C'est  affreux. 

LAURENT. 

Juana  vienne,  et  ses  charmes 
Pour  vous  l'embelliront.' 

LE  DUC,  se  débarrassant  de  son  manteau. 
Prends  ma  cape. 

Laurent  la  lui  retire;  en  dessous  brillent  un  poignard  et 
une  cpée. 

LAURENT,  indifféremment. 

Et  vos  armes  T 
Vous  les  gardez,  seigneur  ? 

LE  DUC,  comme  se  tâtant. 

Mais...  c'est  gênant.. 

LAURENT. 

De  plus, 
Peu  galant...  ledieuMars  les  quittait  pour  Vénus. 

LE  DUC,  souriant. 
Ah!  le  mot  est  choisi!  Des  amours  la  déesse 
Ne  valait  pas  Juana... 

LAURENT. 

Mars  vaut-il  votre  altesset 

LE  DUC. 

Flatteur! 

Otant  SCS  armes  et  les  donnant  à  Laurent. 

Tiens  ! 

S'ajustant  devant  une  glaco. 

Que  dis-tu  de  ce  nouveau  pourpoint? 

LAURENT. 

Qu'il  est  du  meilleur  goût  et  ne  vous  messicd  point. 

Le  Duc  paraît  en  pourpoint  de  velours  et  s'ajuste  devant 
une  mauvaise  glace.  Pendant  ce  temps  Laurent,  qui 
a  pris  son  poignard  et  son  c'pc'c,  va  déposer  le  tout 
dans  le  couloir  oà  Scoroucoulo  est  embusque  arec 
SCS  Lravi.  A  part. 

Le  voilà  désarmé! 


LAURENT  DE  MEDICIS. 


En  passanlprcs  Jela  fcuilre  il  y  jo tic  un  coup  cVœilrapitle. 

Mais,  contre-temps  funeste! 
Impossible  d'agir...  en  bas  la  barque  reste. 

LE  DUC,  Vappeluni. 
Laurent! 

LAURENT. 

Plaît-il,  altesse? 

LE  DUC  ,  s'ajustant  toujours. 

Es-tu  sûr  et  certain 
Que  Juana  vienne?...  ici,  si  j'attendais  eu  vain... 

LAURENT,  à  part. 
Et  moi  I 

Haut. 

Mais  quel  soupçon  !... 

LE  DUC. 

Souvent  femme  varie, 
A  dit  le  roi  François;  bien  fol  est  qui  s'y  fie! 
Je  ne  sais  pas  pourquoi,  mais,  malgré  moi  rêveur, 
Croirais-tu  qu'en  partant,  comme  d'un  doute  au 
Je  me  suis  senti  pris.  [cœur, 

LAURENT. 

Vrai! 

LE  DUC. 

J'ai  craint  quelque  embûche: 
Cette  prude  vertu  qui  tout-à-coup  trébuche. 
L'heure  du  rendez-vous,  jusqu'à  Pierre  Strozzi, 
Cet  amant  que  Juana  jadis  avait  choisi, 
Tout  ma  fait  réfléchir  ;  loin  du  palais  nous  sommes; 
4ussi  j'ai  par  prudence  en  bas  gardéquatre hommes. 

LAURENT. 

Ce  sont  de  vos  gens? 

LE  DUC 

Oui,  des  gars  déterminés. 

LAURENT,  Ô  part. 

Diantre! 

LE  DUC. 

Ils  ne  s'en  iront,  mes  ordres  sont  donnés, 
Que  quand,  passé  le  seuil,  j'apercevrai  la  belle. 

LAURENT. 

Mais  qui  le  leur  dira? 

LE  DUC 

La  chute  de  l'échelle 
Que  je  leur  renverrai. 

LAURENT,  à  patt. 

Sort  fatal  !  je  suis  pris, 
A  moins  qu'elle  ne  vienne. 

Haut. 

En  homme  bien  appris, 
Si  j'allais  en  ce  cas  devant  la  porte  ouverte 
Faire  un  peu  faction,  Duc,  laïuelle  est  déserte. 
Et  seule  en  ces  quartiers,  à  cette  heure  de  nuit, 
Juana  peut  s'effrayer.  . 

LE   DUC 

Va. 

Comme  Laurent  est  toiilic  la  porte,  une  liorloge  sonne. 

Quelle  heure  ? 

LACHENT. 

Minuit. 

Il  sert,  et,  profitant  du  raomcnloù  le  Duc  tlelourncla  Icte, 
il  ji  itirc  la  ciel'  cl  l'emporte. 


i\\\\\\X'V.\\VV\\»V\V\\\\\\.\\l\.VHV\».\\\\VVV\V\VV\\\\\V\WV\\VV 

SCENE  YII. 

LE  DUC,  seul  comptant  l'heure. 
Minuit  ! 

Il  s'approche  tle  la  croisc'e. 

La  ville  dort,  et  dans  Florence  entière 
A  peine  brille  au  loin  une  rare  lumière. 
Naguère  pleine  encor  de  bruit,  de  mouvement, 
La  ruche  est  assoupie...  aucun  bourdonnement. 
Tout  est  calme  et  repos... 

Revenant  en  scène. 

Dormez,  peuple  d'abeilles, 
Parasites  frelons,  les  grands  comptent  vos  veilles; 
Bloi,  j'aime  mieux,  placé  sur  ce  volcan  qui  bout, 
Voir  le  peuple  couché  que  de  le  voir  debout: 
Alors,  point  de  complots   qui   se  trament  dans 

[  l'ombre, 
Point  de  ces  noirs  projets  qu'en  son  désespoir  som- 

[bre 
Enfante  l'insomnie  au  farouche  regard, 
Et  qui  nous  font  au  jour  rencontrer  un  poignard. 

Se  rapprocliant  de  la  fenêtre. 

Que  d'étoiles  au  ciel  !  entre  l'Ourse  et  l'Arcture, 
Là-haut,  voilà  la  mienne  ctincelanfe  et  pure... 
Brille  long-temps  ainsi,  dans  ta  splendeur  égal, 
Astre,  que  mon  bonheur  a  pris  pour  son  fanal... 
Avant  de  ra'avertir  par  ta  clarté  ternie. 
Tel  qu'un  flambeauqui  meurt,  que  la  fête  est  finie, 
Laisse-moi,  gai  convive,  emplir  jusques  aux  bords 
La  coupe  de  la  vie,  y  noyer  le  remords. 
Et  quand  j'aurai  vécu,  que  viendra  l'heure  où  bàiilo 
Le  plaisir  qui  s'endort...  alors,  sur  la  muraille. 
Qu'à  ta  pâle  lueur,  parle  le  doigt  de  Dieu, 
Sans  regret  au  festin  je  pourrai  dire  adieu!... 

Ecoulant. 

On  monte...  un  pas  furtif...  Adorable  marquise, 
Est-ce  toi? 

Moment  de  silence.  La  main  sur  reclielle,  il  attend  que  la 
porte  s'ouvre.  Juana  paraît. 

D'honneur,  oui,  oui:  d'assaut  la  place  est  prise 
Plus  d'échelle... 

11  détache  l'échelle,  la  jette,  et  ferme  la  croisée. 
ax-vwvvvwvwwwwwvwvKWVwwwwvvwwvvwvwwwwwww 

SCENE  VIII. 
LE  DUC,  JUANA. 

JUANA,  en   entrain,    croyant  voir  Strozzi. 

11  m'attend,  merci,  mon  Dieu,  merci  I 

Elle  s'avance  rapidement  vers  lcDuc,qui  lui  tourne  le 
dos,  occupé  qu'il  est  à  fermer  la  fenêtre,  cl  le  prenant 
pour  Strozzi. 

Oh!  je  suis  en  retard;  depuis  long-temps  ici 
Je  devrais  être...  mais... 

Le  Duc  se  retourne. 
JUANA,  reculant  à  son  aspect. 
Le  duc  ! 


26 


MAGASIN  THEATRAL. 


LE  DCC. 

A  notre  vue, 
Eh  bien  !  quelle  frayeur! 

Il  va  pour  s'avancer  vers  elle  cl  la  rassurer. 

Enfant! 

JUANA. 

Je  suis  perdue  I 
0!»  :  ne  m'approchez  pas,  monseigneur,  laissez-moi 
Sortir  dici... 

LE  DUC,  se  meltanl  entre  elle  cl  In  porte. 
Sortir!  Eh  !  ma  belle,  pourquoi? 

JUANA. 

OÙ  suis-je  en  tréc?  ô  ciel  !  mais  c'est  un  pidge  infàmel 

LE  DUC. 

Un  piège  ! 

Rianr. 

Ah  bien!  parfait,  et  voilà,  sur  mon  ame, 
T'n  mot  délicieux  dit  à  faire  plaisir: 
Vous  jouez,  entre  nous,  l'ingénue  à  ravir! 
Maisc'est  trop  plaisanter...  En  entrant,  machar- 

[manle. 
Vous  rachetiez  d'un  mot  les  longueurs  del'uttcnte; 
J'aimais  mieux  ce  langage,  et  votre  douce  voix... 

JUANA. 

O  seigneur  duc,  pitié!  grâce'...  Encore  une  fois , 
Souffrez  que  je  m'éloigne... 

LK  DUC. 

Y  songez-vous,  madame? 

JUA>A. 

De  votre  honneur,  hélas  !  mon  honneur  se  réclame. 
Oh!  soyez  généreux  !... 

LE  nrc. 
Alors,  expliquons-nous, 
Ou,vraiDieu!jem'y  perds..  Ici  j'ai  rendez-vous. 
J'y  viens... 

Montrant  son  masque. 

Hl'enveloppant  du  plus  sombre  myslcre... 
Seul... 

Montrant  la  croisée. 

Et  par  un  chemin  qui  n'est  pas  ordinaire... 
Etquand  l'espoir  au  coeur,  j'ai  long-temps  attendu, 
Vous  paraissez  pour  fuir  !  Kl  le  |)rix  qui  m'est  dû, 
Le  prix  do  cet  amour  qu'une  rigueur  hautaine 
Désespéra  souvent,  qu'en  fait-on,  inhumaine? 
A  q-ii  le  garde-t-on?  et  quel  secret  dépit 
Vous  fait  ainsi  manquer  vous-mômc  à  votre  écrit? 

Il  lire  le  LlUcL  de  Ju.iua. 
JUANA. 

Un  billet!...    de  ma  main? 

LK   DUC. 

Voyez  si  je  m'abuse... 

Il  le  lui  lionne. 

lUANA,  atu'aniie. 

Ma  lettre !oh!jccomprends...queIleinfernaleruseI 
Qui  vous  remit  ce  mot,  seigneur? 

LB  DUG. 

„  ,  .       ...  Doute  charmant! 

tclni  qui  l'a  reçu  .. 

lUANA. 

Pour  vous?  Le  fourbe  ment! 


Dansma  franchise,  hélas!  je  crains  que  votre  altesse 
Ici  d'un  tel  aveu  ne  s'irrite  et  se  blesse... 
JMais  enfin,  je  le  dois,  malgré  votre  courroux! 
Duc,  ce  mot  vient  de  moi,  mais  n'était  pas  pour 

voiu! 

LE  DUC. 

Il  se  peut?  Pour  qui  donc? 

JUANA. 

Pour  un  homme  que  j'aime. 

Dont  je  suis  la  fiancée,  auquel  cette  nuit  môme 
J'ai  juré  de  m'unir  par  un  nœud  solennel... 

LK  DUC. 

En  ces  lieux? 

JDANA. 

En  ces  lieux... 

LE  DUC. 

Ah!  c'est  là  votre  autel! 
Je  vous  fais  compliment...  un  temple  de  débauche' 
Madame,  ici  l'hymen  se  fait  de  la  main  gauche- 
Votre  amant  vous  trompait,  et  puisque  le  hasard 

Ou  d  autres  m'ontservi,  d'amour  je  veux  ma  part... 
Allons,  un  seul  baiser,  ô  beauté  trop  farouche! 

JCANA,  se  défendant. 
Hélas,  Seigneur  mon  Dieu,  comment  rien  ne  vous 
V  .     ,  [  touche? 

Vous  voulez  donc  me  voir  mourante  à  vos  genoux? 

A  ses  pieils. 

0  duc!  respectez-moi...  partant,  respectez-vous! 
Vous  avez  dans  Florence  une  foule  de  femmes 
Bien  plus  belles  que  moi.  nobies  et  grandes  dames, 
Qui,  si  vous  arrêtiez  sur  elles  votre  choix. 
Sans  doute  avec  orgueilaccepteraientvos lois..: 
Mais  moi,  je  ne  puis  pas  être  à  vous,  je  vous  jure. 

^  LB    DUC. 

Erreur! 

JUANA. 

Non...  non,  jamais  !  je  me  dois  chaste  et  pure 
Aquelqu'unquej'aimai...c'estuncontrataDcien. 

DE   DUC. 

Sot  préjugé,  ma  chère...  un  contrat  n'y  fait  rien. 
L'amour  n'en  connaît  pas. 

JUANA. 

Eh  quoi!  par  violence 
Vous  briseriez  des  nœuds  qu'a  resserrés  l'absence! 
0  duc,  d'un  triple  airain  votre  cœur  n'est  poinj 

[ceint: 
lout  noble  sentiment  en  vous  n'est  pas  éteint... 
Prenez  pitié  de  moi...  rendez-vous  à  mes  larmes; 
Faible  fcnune,  je  n'ai  contre  vous  que  ces  armes. 
Au  nom  du  Dieu  puis.santqui  pour  lui  ressembler 
Fit  les  gr.uids  ici-bas,  laissez-moi  m'en  aller!... 

LE   DUC,    à  part. 
Noyée  ainsi  do  pleurs,  comme  elle  est  ravissante! 
Que  jainie  ce  regard,  cette  voix  suppliante! 
Et  c'est  Slro/zi  I 


li  i.i  [iiind  l)rusr|ui'nic 

Juana! 

JUANA. 

Grâce! 

LE    DUC. 


par 


Icl.r 


Voulez-vous  tUrc  à  moi  7 


De  par  l'enfer. 


LAURENT  DE  xMEDICIS. 


27 


JUANA,  se  relevant  et  regardant  avec  terreur  au- 
tour d'elle. 

Nulle  arme  !  pas  un  fer  ! 

Au  Duc  avec  ernergie. 

Plutôt  la  mort! 

LE  DCC,   la  saisissant  et  cherchant  à  Ventraîner 
vers  le  cabinet, 
£h  bien!  ma  timide  colombe, 
Aux  serres  de  l'autour  il  faut  que  l'on  succombe. 

JUANA,  résistant. 
Au  Secours  1...  0  mon  Dieu! 

LB  DCC,  ouvrant  la  porte  du  fond. 

Personne  ne  t'entend... 
Le  ciel  est  sourd. 

LAURENT,  une  êpêe  à  la  main. 

Non  pas,  sa  justice  t'attend  ! 

A  ces  mots,  le  Duc,  étonné,  se  retourne  et  lâclie  Juana; 
celle-ci, libre  et  la  tête  perdue,  passe  derrière  lui  et  se 
jette  dans  le  cabinet  entr'ouvert,  où  elle  s'enferme. 
Laurent  et  le  Duc  restent  en  présence. 

WVWWVWWWVWWWWVWVWWVWWWVWWVWVVWWVWVWVIV 

SCENE  IX. 
LE  DUC,  JUANA,  enfermée,  LAURENT. 

LE  DUC.  D'uge 

Que  vois-je?  toi,  Laurent?  Et  quel  pouvoir  t'ad- 
Le  droit  d'entrer  ainsi? 

LAURENT. 

L'autorité  du  juge? 

LE  DUC. 

Que  dis-tu  là? 

LAURENT. 

Je  dis  qu'aussi  vrai  qu'en  ce  lieu 
Votre  bouche  d'un  mot  vient  de  blasphémer  Dieu; 
Aussi  vrai  qu'à  ma  main  resplendit  cette  épée, 
De  votre  main  trop  tôt  par  mégarde  échappée... 
Aussi  vrai,  vous  devez  profiter  des  instans 
Que  je  vous  laisse,  duc...  priez,  il  en  est  temps  ! 

LE   DUC. 

Malheureux,  es-tu  fou?  quel  horrible  délire 
Égare  ta  raison? 

LAURENT. 

Je  m'en  vais  te  le  dire. 

Il    croise  les    bras ,  et ,    l'épée    toujours  dans  la  main 
droite,  fait  quelques  pas  vers  le  Duc. 

Florence  était  esclave...  à  son  vieux  gonfanon, 
Un  homme...  un  Médicis,  indigne  de  ce  nom, 
Foulant  aux  pieds  ce  legs  de  sa  splendeur  dernière, 
Avait  substitué  son  glaive  pour  bannière... 
Plus  de  franchises,  plus  de  libertés,  de  lois; 
Plus  de  sainte  justice. 

LE  DUC,  avec  rage. 
O  fureur  1 

LAURENT. 

Aux  abois, 
Sous  l'épieu  du  tyran,  comme  une  bote  fauve 
Qui  se  débat  et  meurt  sans  espoir  qu'on  la  sauve, 
La  patrie  expirait,  et  de  sanglans  lambeaux 
A  leur  part  de  curée  invitaient  les  bourreaux. 
Ce  n'était  point  un  règne. . .  oh  !  non,  je  t'en  atteste 


Ciel,  qui  d'un  tel  fléau  nous  fis  le  don  funeste! 
C'était  tout  ce  que  peut  enfanter  d'odieux 
L'égarement  d'un  fou,  mais  d'un  fou  furieux! 

Le  Duc  veut  faire  un  pas  vers  la  porte.  Laurent  le  tient 
en  respect  avec  son  épée. 

Arrière!  écoute  encor... 

LE    DUC. 

Misérable  à  deux  faces  ! 

LAURENT. 

Je  n'ai  point  achevé...  Chaque  jour  sur  nos  places 
Tandis  que  l'échafaud,  au  mépris  des  traités, 
Suppliciait  les  gens  de  la  veille  arrêtés!... 
Tandis  que  se  signaient  les  exils,  les  sentences, 
Au  profit  du  trésor  créant  des  déshérences. 
Confisquant  sans  pudeur  les  biens  de  celui-ci, 
Déclarant  celui-là  corvéable  à  merci... 
La  nuit,  larron  d'honneur,  au  sein  de  la  famille 
S'introduisait  le  vice,  à  l'un  prenant  sa  fille, 
A  l'autre  sa  fiancée;  infâme  ravisseur. 
Qui  jusqu'au  fond  du  cloître  insultait  au  SeigneurI 
Et  tu  t'imaginais,  6  comble  de  démence! 
Te  ruer  impuni  dans  ce  désordre  immense? 
Dieu  se  lasse  à  la  fin.  Duc,  en  lui  si  tu  crois. 
Implore  son  pardon  pour  la  dernière  fois  1 

LE   DUC. 

Mais  c'est  un  crime  affreux  ainsi  m'ôter  la  yie? 

LAURENT. 

Rappelle-toi  tous  ceux  à  qui  tu  l'as  ravie.... 
Vois  dans  Colle  Vecchio,  victime  de  l'orgueil, 
Ta  mère,  avant  le  temps  couchée  en  son  cercueil, 
Et  montrant  à  son  flanc  la  blessure  livide 
Qui  t'accuse  en  silence,  ô  Néron  parricide. 
Vois  Giacomo  Fiorli,  qu'un  poignard  dans  le  sein. 
On  trouva  mort  chez  lui,  dont  tu  sais  l'assassin; 
Car  en  vain  un  faux  bruit  courut  de  bouche  en 

[bouche; 
Le  meurtrier,  c'est  toi!  toi, qui  souillais  sa  couche! 
Vois  Nelli,  vois  Mazzan,  contre  un  vil  suborneur, 
Au  tombeau,  toutes  deux,  confiant  leur  honneur... 
Enfin  vois  dans  Itry,  le  crédule  Hippolyte 
Acceptant  le  poison  de  ta  main  hypocrite  I 
Et  dis  après  si  c'est  justice  ou  trahison, 
Que  ces  morts  par  ma  voix  te  demandent  raison. 
As-tu  prié? 

LE  DUC. 

Prié?  Tiens,  ma  seule  prière, 
Entends-la  bien,  Laurent,  à  mon  heure  dernière  : 
Exécrable  démon,  vil  et  lâche  serpent, 
Qu'à  mes  pieds,  insensé!  j'ai  ramassé  rampant, 
Et  qui,  tel  que  Satan,  dans  son  indigne  trame, 
Pour  perdre  l'homme,  encore  eut  recours  à  la 

[femme  ! 
S'il  est  un  Dieu.. .  qu'un  jour  sous  un  fermeurtrier 
Un  assassin  te  dise  à  ton  tour  de  prier, 
Et  me  venge  sur  toi,  toi  qui  venges  les  autres!... 
LAURENT,  s'avançani  vers  le  Duc  l'épée  haute. 
C'est  tout? 

LE   DOC. 

J'ai  dit  ! 


28 


MAGASIIS  THEATRAL. 


LAURENT. 

Meurs  donc  ! 


Le  Duc,  accule, se  jelle  dans  le  couloir  obscur  où  sont  ca- 
chés Scoroucoulo  cl  ses  hravi  ;  à  peine  y  a-t-il  mis  le 
pied,  que  Laureut  s'ccrie  d'une  y/w  éclatante  : 

Florence!  à  moi  les  nôtres! 

A  ce  signal,  on  entend,  dans  le  couloir,  un  hiuit  de  pas  et 
uu  cliquetis  d'épées. 

LB  DUC,  dans  la  coulisse. 
Au  secours!  Trahison! 

LAURENT. 

Tes  cris  sont  superflus, 
Le  ciel  est  sourd! 

Le  Duc,  mortellement  atteint  et  ses  vêtcmensensanglante's, 
reparaît  a  l'entrée  du  couloir;  il  se  ramponne  un  instant 
contrôle  chambranle  de  la  porte,  chancelle,  et  tout-à- 
coup  tombe  raide  mort  sur  la  scène  ;  à  ce  moment 
sort  Scoroucoulo,  son  épée  nue  à  la  main. 

W\VIA<W\W\VW\>IW\WWV\VVt'VWWVVVAVV\V\AV\A\WVV\VVkVV\W\ 

SCENE    X. 

LAURENT,  JUANA,  enfermée,  SCOROU- 
COULO. 

SCOROUCOULO,  montrant  le  corps  du  Duc. 

Seigneur,  votre  ennemi  n'est  plusl 

LAURENT. 

C'est  bien.  Mais  notre  tâche  est  encore  incomplète; 
Au  pavillon  voisin,  par  la  porte  secrète, 
Cours  vite...  là,  sans  doute,  une  personne  attend  : 
Prends-la,  sers-lui  de  guide,  et  reviens  à  l'instant. . . 

SCOROUCOULO. 

J'y  cours... 

Il  sort. 

LAURENT,  s'approcfiant  du  cadavre  et  le  contem- 
plant. 
C'en  est  donc  fait!...  il  a  cessé  de  nuire... 

Il  le  couvre  d'un  manteau. 

Dieu  te  pardonne, ô  duc!...  L'aurore  qui  va  luire 
Ne  t'arrachera  point  à  ce  sommeil  de  mort  : 
Mais  demain...    quel  réveil   pour  Florence  qui 

[dort  I... 
Debout,  peuple!  à  ma  voix  relève  enfin  la  tête! 
Pour  toi,  j'ai  triomphé,  je  te  rends  ta  conquête. 
Parfois  la  liberté,  ce  céleste  présent. 
En  çl'inliabiles  mains  est  un  fardeau  pesant: 
Qu'il  n'en  soit  point  ainsi. .  maître  de  la  puissance, 
N'en  fais  jamais  abus;  l'abus  c'est  la  licence... 
Règne  donc  à  ton  tour,  ô  peuple  souverain! 
Mais  règne  avec  la  loi,  ce  salutaire  frein  I 

On  entend  nu.nl.  r  r.i|M,l.n)eiil  I',  s.alici-  voisin;  à  et  bruit, 
Laurent  revient  co  Scène. 


^\\'\  v\\^\%v\-\w\w\\ 


\  vv\  vv\  vwx  v\\v\\  v\  www 


SCENK  XI. 

L.\rURNT,  .lUANA,  crcnn^e;  STROZZI,  fépée 

'■  him.iiii,  SCOUOUCOULO,  entrant  toits  deux 

>■'  (ij)iiuuimcnt. 

r/A,  aueÇ- l'accent  d'un  liuunnc  qui  n  attendu 

■[i-^f'ups  el  qui   va  enfui  satisfaire   sa   ven^ 

■  III-, 

'>"'    "i.  Laurent! 

Ironiquement. 

Avant  qiK;  de  te  joindre, 
-utinonlionncui-.  j'ai  cru  \uir  ici  le  ji^urpi.iiidrc  ! 


Mais  nous  sommes  en  face...  Ainsi,  trêve  aux  ois- 

^  ,  ,  [cours... 

Lommençons  le  combat. 

Mettant  l'épcc  .i  la  main. 

LAURENT,  froidement. 

Tu  persistes  toujours  ? 

STROZZI. 

Si  je  persiste...? Eh!  quoi,  penses-tu  que  l'attente 
Alt  calmé  lafureurd'uneameencorbouillunle...? 
Cet  homme  est  mon  second... 

LAURENT,  Élevant  la  voix. 

Ton  second  est  battu  :... 
Car  le  mien... 

STROZZI. 

Quel  est-il? 
LAURENT,  l'amenant  près  du  cadavre  du  Duc  qu'il 
découvre. 

Le  voilà  !  qu'en  dis-tu? 
STROZZI,  Stupéfait. 
O  ciel  !  il  se  pourrait...  lui.. .  le  duc  Alexandre  ! 

LAURENT. 

Lui-même... 

STROZZI. 

Eh  !  quelle  main  ? 

LAURENT. 

Peux-tu  donc  t'y  méprendre? 
Le  bras  de  Dieu,  Strozzi,  qui  toujours  s'est  armé, 
Pour  venger  l'innocent  parle  crime  opprimé... 
Du  ciel  depuis  long-temps  abandonné  d'avance. 
Cet  homme  était  jugé...  j'ai  rempli  la  sentence... 

STROZZI. 

Mais  tu  nous  servais  donc? 

LAURENT. 

Avec  le  dévouement 
D'un  frère,  en  tous  les  temps  fidèle  à  son  serment. .. 

STROZZI. 

Et  quand  tu  m'as  trahi? 

LAURENT. 

C'était  une  mesure 
Qu'exigeait  ton  salut. 

Montrant  le  Duc. 

Vois,  me  crois-tu  parjure? 

STROZZI. 

Oh!  non...  je  comprends  tout,  et  ce  sanglant  té- 
LAURENT.  [moin... 

Ne  te  suffirait  pas,  qu'un  autre  n'est  pas  loin. 

Il  ouvre  le  cabinet  et  en  lire  Juana  pâle  et  défaite  qu'i'. 
amène  par  It  main. 

Venez,  Juana. 

STROZZI,  «  la  vue  de  sa  maîtresse. 
Juana! 

LAUIIENT. 

D'un  amour  qui  s'indigne 
Calme  le  premier  feu...  Son  cœurdu  tien  est  digne. 

Il  pousse  .luana  vers  Slrozzi  ;  clni-ti  liésile  un  iiisl.inc  ; 
mais,  i  l'air  suppliant  de  Juaua  qui  senihi.-  prot.sl.i  de 
son  innocence,  il  ouvre  ses  liras,  .liiana  s'y  précroil.-. 

Elle  te  dira  tout...  mais  ce  n'est  pas  l'instant  : 
Il  nous  reste  a  remplir  un  devoir  important. 
C'est  d'armer  nos  amis,  avant  (jue  celle  aurore 
Tr.iliissc  un  changcnienl  qu'il  faut  cadicr  encore. 
Eloignons-nous  tous  doux  par  dillVrens  chpiiiiiis. 
Toi,  gagne  Alontc-Carle  au  pied  des  Apciiiii;;s  : 
Pazzy,  Belnio:ite  y  .«ont...  Aux  l'iorentins  liiiélcs. 
Moi,  je  vais  dans  Prato  proclamer  ces  nouvelles. 

Lraiidissant  son  r'péu  et  faisant  signe  à  Scoroucoulo  de  le 
suivre, 

Adieu ...  Le  rendez-vous,  ici,  dans  la  cité, 
Demain,  avec  le  jour,  au  cri  de  liberté! 


P.ii  i:;.   — .  Inli'ii:iV 


•i:iU;rii'  de  M'i'  V'  DuN        -•'îurBK,  rue  S.iinl-Loui;;,  ■iO  au  Marais.